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Dissimulation Meurtre Prescription

Dissimulation d’un meurtre et prescription

La plus haute formation de la Cour de cassation vient de statuer, par un arrêt du 7 novembre 2014, sur la question de la prescription de l’action publique, dans une affaire très médiatisée concernant une mère soupçonnée d’avoir tué ses huit enfants à leur naissance, après avoir dissimulé ses grossesses successives à son entourage.

Selon les circonstances de l’espèce, en juillet 2010, les cadavres des nouveau-nés avaient été découverts dans le jardin d’une maison appartenant à la famille de la mère. Celle-ci déclarait avoir commis les meurtres entre 1989 et 2006, si bien que, pour certains d’entre eux, plus de dix ans se sont écoulés avant que les faits soient révélés. Poursuivie pour meurtres aggravés, l’intéressée invoquait la prescription de l’action publique, mais un tel argument avait été rejeté par la Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Douai qui l’avait renvoyée devant la Cour d’assises pour l’intégralité des faits.

Pour écarter l’exception de prescription de l’action publique et en reporter le point de départ au jour de la « découverte fortuite des premiers corps d’enfants », la juridiction du second degré avait tenu compte du « secret entourant les naissances et les décès concomitants, qui a[vait] subsisté jusqu’à la découverte des corps des victimes ». Ainsi, a-t-elle considéré que le caractère « secret » des faits avait « constitué un obstacle insurmontable à l’exercice de l’action publique qu’appelaient les origines criminelles de la mort des huit nouveau-nés » et que « ni un tiers ni une autorité n’était en mesure de s’inquiéter de la disparition d’enfants nés clandestinement, morts dans l’anonymat, et dont aucun indice apparent ne révélait l’existence physique ».

Mais, un tel point de vue n’avait pas été partagé par la Chambre criminelle de la Cour de cassation qui, siégeant en formation plénière, avait reproché à la Chambre de l’instruction d’avoir méconnu le principe consacré par l’article 7 du Code de procédure pénale selon lequel, « en matière de crime, l’action publique se prescrit par dix années révolues à compter du jour où le crime a été commis… » (Crim. 16 oct. 2013, Bull. crim. n° 192). Il faut bien reconnaître que cette réponse lapidaire, conforme à la lettre de la loi, était particulièrement surprenante, car, comme on le sait, une jurisprudence constante se sert du critère de « dissimulation » pour retarder le point de départ de la prescription dans de nombreux domaines.

La liste des infractions, qui n’ont pas pu échapper aux foudres de ce courant jurisprudentiel, est vraiment impressionnante : abus de confiance, abus de biens sociaux, favoritisme, délit d’altération des preuves, mise en mémoire informatisée de données nominatives protégées, tromperie… Or, si l’on compare ces solutions avec celle admise par l’arrêt du 16 octobre 2013, il est permis de penser, avec une partie de la doctrine, que les assassins bénéficient d’une indulgence jurisprudentielle dont ne connaissent pas les dirigeants sociaux auxquels les juges répressifs n’appliquent que rarement la règle inscrite à l’article 7 du Code de procédure pénale.

En tout cas, après une telle censure, l’affaire avait été renvoyée devant la Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris qui avait estimé, à son tour, qu’il était impossible d’appliquer en l’espèce les dispositions de l’article 7 car la date de commission des infractions n’était pas « connue avec précision », ce qui autorisait le report du point de départ de la prescription au jour où le ministère public avait eu connaissance de la découverte des cadavres (v. en ce sens, Crim. 19 sept. 2006, Bull. crim. n° 226). De plus et surtout, pour justifier sa démarche, la Chambre de l’instruction avait retenu que l’autorité de poursuite s’était trouvée jusqu’à cette découverte dans « l’impossibilité absolue d’agir », comme le démontraient les divers éléments de fait (grossesses non décelables en raison de l’obésité, accouchements sans témoin, naissances non-déclarées à l’état civil…).

Il appartenait donc à l’Assemblée plénière de la Cour de cassation de décider si « un obstacle insurmontable à l’exercice des poursuites » ou la « dissimulation du crime de meurtre » pouvait permettre une dérogation à la règle énoncée par l’article 7 précité. Sans aucun doute, la Haute juridiction fournit, par l’arrêt du 7 novembre 2014, une réponse claire à la question. En effet, après avoir admis que la prescription puisse être suspendue en cas d’obstacle insurmontable à l’exercice des poursuites, elle a estimé que la Chambre de l’instruction avait caractérisé cet obstacle dont l’existence autorisait la suspension du délai de prescription jusqu’à la découverte des cadavres.

A première vue, la solution adoptée est loin d’être novatrice, puisque la jurisprudence admet que le cours de la prescription de l’action publique soit arrêté au profit de celui qui ne peut valablement agir. Aussi bien, à côté des causes légales de suspension, elle décide que la prescription peut être suspendue lorsqu’il y a un obstacle de droit ou un obstacle de fait à l’exercice de l’action publique. En particulier, ont été considérés comme des obstacles de droit l’examen d’une question préjudicielle, la demande d’autorisation d’exercer une action appartenant à une collectivité territoriale ou la durée du mandat du Président de la République.

Quant aux obstacles de fait, les juges répressifs y font entrer certains événements présentant les caractéristiques de la force majeure ou d’une circonstance insurmontable, telle qu’une occupation militaire, une catastrophe naturelle ou la démence du délinquant survenue après la commission d’une infraction. On pourra même relever que, par un arrêt du 20 juillet 2011 (pourvoi n° 11-83.086), la Chambre criminelle a déclaré, avec fermeté, que « seul un obstacle insurmontable à l’exercice des poursuites peut justifier la suspension de la prescription de l’action publique ».

Désormais, il est permis de considérer que la clandestinité d’une infraction peut, dans certaines circonstances, être rattachée aux « obstacles insurmontables » entraînant la suspension de la prescription de l’action publique. A vrai dire, on a du mal à comprendre la position jurisprudentielle qui, dès lors qu’il s’agit d’infractions graves portant atteinte à la vie, se montre sensible à la règle énoncée à l’article 7 du Code de procédure pénale et n’accepte d’y déroger qu’en cas d’obstacle insurmontable.

Ce faisant, la Haute juridiction écarte donc en la matière l’application du critère de « dissimulation » qu’elle retient pourtant facilement à propos d’infractions beaucoup moins graves, telles les atteintes aux biens. En tout cas, une intervention législative serait, à notre avis, souhaitable pour mettre fin à l’instabilité et à l’incohérence jurisprudentielles qui règnent dans le domaine de la prescription de l’action publique.

Haritini Matsopoulou

Haritini Matsopoulou

Professeur de Droit à l'Université Paris Sud (Paris XI)
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