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Contracyclicité, par Jean-Michel Mir, avocat associé Capstan Avocats et Sébastien Lebeau, avocat Capstan Avocats, partenaires du Club des juristes

Contracyclicité – L’évolution conjoncturelle des droits à l’assurance chômage

« Les conditions d’activité antérieure pour l’ouverture ou le rechargement des droits et la durée des droits à l’allocation d’assurance peuvent être modulées en tenant compte d’indicateurs conjoncturels sur l’emploi et le fonctionnement du marché du travail » (C. trav., art. L. 5422-2-2).

La contracyclicité, terme plus connu des économistes que des juristes, est apparue dans le débat juridique à l’occasion de la réforme de l’assurance chômage instaurant une modulation de la durée d’indemnisation en fonction de la situation du marché du travail (L. n° 2022-1598, 21 déc. 2022 ; D. n° 2023-33, 26 janv. 2023). Appliquée aux droits à indemnisation chômage, la contracyclicité consiste à durcir les règles d’indemnisation quand la situation du marché du travail est favorable, et à les assouplir quand la situation se dégrade. Les droits au chômage seront donc à l’avenir amenés à évoluer en fonction de la conjoncture, avec un objectif affiché d’incitation au retour à l’emploi et de fluidité du marché du travail. S’agissant des paramètres susceptibles d’être modulés, le législateur a retenu la durée d’indemnisation et les conditions d’éligibilité, en laissant le soin au pouvoir réglementaire d’en définir les modalités.

Le décret d’application a finalement retenu une modulation de la seule durée d’indemnisation des demandeurs d’emploi. Malgré les critiques d’inconstitutionnalité pour incompétence négative et pour atteinte à un droit d’ouverture de l’allocation chômage garanti par le versement de cotisations des assurés et de leurs employeurs, ce dispositif a été jugé conforme sans réserve à la Constitution (Cons. const., 15 déc. 2022, n° 2022-844 DC).

La réforme consiste à appliquer un coefficient réducteur (0,75) à la durée d’indemnisation appliquée jusqu’à la réforme. Si un jour travaillé équivalait à un jour indemnisé, un jour travaillé ne vaudra désormais plus que 0,75 jour indemnisé. Les demandeurs d’emploi pourront se voir attribuer un « complément de fin de droit » (CFD) en cas de retournement de conjoncture, permettant à l’allocataire de bénéficier d’une durée d’indemnisation supplémentaire, équivalent à la durée retranchée au titre du coefficient. « L’assouplissement » des règles correspondra donc à un maintien de la durée d’indemnisation actuelle, tandis que le « durcissement » correspondra à une diminution de 25 % de la durée d’indemnisation.

L’indicateur retenu pour déclencher cette modulation est l’évolution du taux de chômage en France, au sens du Bureau International du Travail (BIT). Ainsi le CFD sera appliqué lorsque l’estimation par l’INSEE du taux de chômage national sera d’un niveau égal ou supérieur à 9 % ou en cas d’augmentation de cette estimation de 0,8 point ou plus sur un trimestre. C’est la première fois que l’application d’un tel principe est codifiée dans le Code du travail pour la détermination de droits sociaux. Le concept de contracyclicité est-il appelé à jouer un rôle accru dans les futures réformes sociales, et pourrait-il être appliqué à d’autres droits sociaux ? Forts de la validation du Conseil constitutionnel, le Gouvernement et le législateur pourraient réfléchir à appliquer ce principe dans d’autres domaines du droit social. Si l’on reste sur le terrain de l’emploi, cela pourrait conduire à une modulation des droits et garanties de procédure applicables au licenciement pour motif économique, en fonction de la conjoncture économique ou du marché du travail. Une situation positive ou en tension du marché du travail pourrait conduire à adapter automatiquement les règles applicables, y compris aux PSE, l’objectif prioritaire n’étant plus nécessairement le reclassement interne ou externe des salariés (assuré par le marché du travail) mais de favoriser la transformation rapide des entreprises par l’innovation et l’intégration de nouvelles compétences/métiers.

Mais la contracyclicité ainsi appliquée au droit du licenciement, devrait au préalable démontrer sa conformité aux normes juridiques supérieures, constitutionnelles et européennes. Le risque de non conformité et le débat difficile attendu sur un tel objet de réforme risquent fort de dissuader un gouvernement de s’engager dans cette voie, et il est probable que l’application du principe de contracyclicité ne sera pas étendue au-delà des droits à assurance chômage.

Jean-Michel Mir, avocat associé Capstan Avocats et Sébastien Lebeau, avocat Capstan Avocats, partenaires du Club des juristes

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