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Antoine Deltour, le jugement d’un lanceur d’alerte dans une Europe qui ne lui donne pas de statut

« Le plus terrible secret de ce monde serait qu’il n’y ait aucun secret » (Jean-François Deniau)

Personnage de film à Hollywood ou musicien au côté de Jean Michel Jarre, popularisés par Chelsea Manning, Julian Assange (Wikileaks), Édouard Snowden (Prism) ou encore Irène Frachon (Mediator), les lanceurs d’alerte bénéficient désormais d’un réel soutien de l’opinion publique qui voit en eux des « Robin des bois » des temps modernes.

Pourtant, le procès Luxleaks, qui oppose actuellement à Luxembourg pour vol de documents le géant de l’audit PricewaterhouseCoopers (Pwc) à ses ex-employés Antoine Deltour et Raphaël Halet et au journaliste Édouard Perrin, illustre, une nouvelle fois, les risques judiciaires auxquels ils sont confrontés. Diffamation (Stéphanie Gibaud dans l’affaire UBS), espionnage économique (Hervé Falciani, ressortissant français condamné à 5 ans d’emprisonnement dans l’affaire Swissleaks par la justice suisse), violation du secret professionnel et recel de document (Laura Pfeiffer, inspectrice française du travail condamnée en 2015), les chefs d’accusations ne manquent pas à l’encontre des lanceurs d’alerte.

Leurs vies professionnelles et personnelles peuvent tourner au cauchemar.

Face au choc des scandales et des révélations, la tentation est forte d’obéir à l’injonction de la transparence et de laisser libre court à la bonne conscience de délation au nom d’un droit de savoir, général et absolu.

De fait, les législations des États membres européens demeurent très lacunaires. Seuls cinq d’entre eux disposeraient d’une législation spécifique assurant la protection des lanceurs d’alerte et parmi eux, le Luxembourg… Pire, sept États membres ne leur offriraient aucune protection. Cependant, depuis la révélation de l’affaire Luxleaks puis du « Panama papers », les instances européennes semblent avoir pris conscience de la nécessité d’harmoniser ces législations et un projet de directive allant dans ce sens devrait prochainement être présenté par des eurodéputés.

De ce point de vue, la directive européenne relative à la protection du secret des affaires adoptée le 14 avril 2016 a le mérite d’être la première directive à mentionner expressément les lanceurs d’alerte (considérant 20). La liberté d’expression et d’information est une limite au secret et son article 5 exclut de son champ d’application les informations révélées par des journalistes ou lanceurs d’alertes lorsqu’elles concernent une activité illégale, mais également une faute ou un acte répréhensible. Les lanceurs d’alertes devront cependant veiller à agir « dans le but de protéger l’intérêt public général », condition raisonnable lorsque des emplois et innovations sont également en jeu.

S’agissant du droit français, les six lois adoptées entre 2007 et 2015 ne garantissent qu’une protection lacunaire et segmentaire des lanceurs d’alerte, leur champ d’application étant restreint à des domaines précis comme la santé publique, l’environnement ou la corruption. Quand seule la loi du 6 décembre 2013 autorise le recours à la presse, celle du 16 avril 2013 impose le signalement préalable auprès de l’employeur. Les autres lois n’autorisent, elles, un signalement direct qu’aux autorités judiciaires ou administratives ou aux régulateurs institués.

La France se grandirait à proposer un statut novateur, clair et cohérent des lanceurs d’alerte qui méritent mieux qu’un bricolage législatif venant plaquer par voie d’amendement une ancienne proposition de loi au Projet de loi Sapin 2 relatif à la transparence et à la lutte contre la corruption qui devrait être examiné le 17 mai 2016.

Comme le rappelle Transparency International dans son guide à destination des lanceurs d’alerte, face à la difficulté d’appréhender la législation, les lanceurs d’alerte ont besoin, avant toute décision, d’être assistés dans une analyse préalable rigoureuse des situations qu’ils veulent dénoncer pour connaître et en comprendre les conséquences.

Les avocats bénéficient d’un véritable rôle à jouer en tant que confident nécessaire et profession juridique de référence.

Le texte actuellement proposé au Parlement va à l’encontre du droit à l’assistance d’un conseil libre et indépendant. Son article 11 entend soustraire la future Agence nationale de l’alerte de tout contrôle par l’autorité judiciaire et permettrait, d’une part, au client de délier son avocat de son secret professionnel, ouvrant la porte à toutes les pressions à l’encontre de ce client, et d’autre part, considère les avocats comme des potentiels lanceurs d’alerte ayant vocation à trahir leur secret professionnel.

C’est parce qu’il a pu recueillir en toute confiance toutes les confidences nécessaires à la compréhension globale du dossier que l’avocat peut aider au mieux son client à se conformer à la loi.

Dès lors, la nécessité d’offrir une protection légitime aux lanceurs d’alerte, ne doit pas, au nom de la dictature de la transparence, conduire à sacrifier le secret professionnel des avocats, dorénavant considéré comme suspect par nature.

Dans un état de droit, la protection des lanceurs d’alerte doit être encadrée dans les limites des libertés et droits existants et soumise au contrôle des autorités judiciaires.

Olivier Cousi, Avocat associé GIDE LOYRETTE NOUEL

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