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Aides d’Etat : le Tribunal de l’UE ouvre une voie de recours redoutable

En annulant, le 15 juillet 2020, la décision de la Commission européenne du 30 août 2016 sommant Apple de rembourser à l’Irlande une aide d’Etat jugée illégale, le Tribunal de l’Union européenne rappelle que le droit de la concurrence intègre désormais des concepts bien établis par le droit fiscal en matière de prix de transfert.

Apple ne devra pas rembourser 13 milliards d’euros à l’Irlande. Le Tribunal de l’Union européenne a en effet annulé, le 15 juillet 2020 , la décision de la Commission européenne du 30 août 2016 sommant Apple de rembourser à l’Irlande une aide d’Etat jugée illégale. Selon lui, la Commission n’a pas démontré « l’existence d’un avantage économique sélectif », un des éléments constitutifs de la notion « d’aide d’Etat », au profit d’Apple.

Cet arrêt rappelle utilement que le droit de la concurrence intègre désormais des concepts bien établis par le droit fiscal en matière de prix de transfert, et implique des difficultés similaires pour les autorités dans la charge de la preuve.
La décision de la Commission européenne

La décision de la Commission portait sur deux rescrits fiscaux – à savoir des décisions anticipées opposables – émis en 1991 et en 2007 par l’administration fiscale irlandaise en faveur de deux filiales d’Apple Inc., Apple Sales International (ASI) et Apple Operations Europe (AOE). Ces deux sociétés de droit irlandais avaient la particularité de ne pas être résidentes d’Irlande, mais d’avoir chacune établi une succursale irlandaise. Conformément à la législation fiscale irlandaise, seules ces succursales étaient passibles de l’impôt sur les sociétés en Irlande, et ce pour la seule part des revenus d’ASI et d’AOE qui pouvait leur être attribuée.

Selon la Commission, ces rescrits auraient octroyé à ASI et AOE un avantage sélectif en avalisant une allocation artificiellement basse des bénéfices réalisés sur leurs ventes mondiales (hors Amérique) à leur succursale irlandaise, leur permettant ainsi de bénéficier d’un taux effectif d’imposition très avantageux. Une telle allocation des bénéfices méconnaîtrait le principe de pleine concurrence, qui impose que les bénéfices attribués à une succursale correspondent à ceux qui auraient été obtenus par une entreprise indépendante dans des conditions de marché.

La position de la Commission s’articulait notamment autour des deux moyens . Les licences de propriété intellectuelle détenues par ASI et AOE et les bénéfices correspondants auraient dû être attribués aux succursales irlandaises, dès lors que ces deux sociétés n’avaient quasiment aucun moyen humain et matériel hors d’Irlande. A supposer même que ces bénéfices ne soient pas attribués aux succursales irlandaises, les méthodes de prix de transfert approuvées par les rescrits pour déterminer les bénéfices imposables des succursales, essentiellement une méthode transactionnelle sur la marge nette basée sur les coûts d’exploitation, étaient entachées d’erreurs et conduisaient à sous-estimer ces bénéfices.
Pour le Tribunal aucun avantage sélectif partant d’une aide d’Etat existe

Le Tribunal confirme la compétence de la Commission pour examiner si les rescrits contestés constituaient une aide d’Etat. Il valide également son approche pour évaluer l’existence d’un avantage sélectif, consistant non seulement à comparer le traitement fiscal prévu par les rescrits avec le traitement fiscal irlandais de droit commun, mais surtout à utiliser le principe de pleine concurrence pour contrôler si le montant des bénéfices attribués aux succursales irlandaises correspond à celui qui aurait été obtenu dans des conditions de marché.

Toutefois, le Tribunal a estimé que la Commission n’a pas démontré l’existence d’un avantage sélectif et, partant, d’une aide d’Etat en faveur d’Apple.

Selon le Tribunal, la Commission n’est pas parvenue à démontrer qu’en application du principe de pleine concurrence, eu égard aux fonctions exercées par les succursales irlandaises et aux décisions stratégiques prises et mises en oeuvre hors d’Irlande, les licences de propriété intellectuelle détenues par ASI et AOE et les bénéfices correspondants auraient dû être attribués aux succursales irlandaises. Elle n’est pas non plus parvenue à démontrer, malgré des erreurs avérées de l’administration fiscale irlandaise, que les méthodes de prix de transfert prévues par les rescrits conduisaient à sous-estimer la base imposable des succursales irlandaises en contravention avec ce principe.
Une voie de contestation redoutable

La Commission dispose de deux mois et dix jours à compter de la date de publication de l’arrêt pour décider de faire appel auprès de la Cour de justice de l’Union européenne. Bien que les autorités européennes et nationales soient encore tenues en échec par les stratégies fiscales des multinationales – et en particulier celles du secteur numérique -, l’arrêt du Tribunal semble leur ouvrir une voie de contestation redoutable.

De telles contestations pourraient donc se multiplier, comme l’illustre le nombre d’affaires pendantes devant les juridictions européennes, et se conjugueraient avec les menaces de nature pénale (cas Google) et l’étau réglementaire (DAC3, DAC4, DAC6) auxquels les multinationales sont désormais confrontées.

Cette chronique est proposée par le Club des Juristes

Par Jacques Buhart, avocat associé et Antoine Vergnat, avocat associé du cabinet McDermott Will & Emery, partenaire du Club des juristes.

Jacques Buhart

Avocat à la Cour, McDermott Will & Emery
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