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Abus de marché

Abus de marché : un critère nécessaire de « gravité » pour distinguer les manquements administratifs des infractions pénales ?

Dans sa décision du 18 mars 2015 prononçant l’inconstitutionnalité de certaines dispositions légales relatives au manquement et au délit d’initié, le Conseil constitutionnel a dégagé plusieurs critères cumulatifs permettant de considérer comme de même nature un manquement administratif et une infraction pénale.

La portée initiale de cette décision semble être remise en cause par une autre décision du Conseil, datée du 14 janvier 2016 et passée plus inaperçue. Le Conseil, examinant une rédaction antérieure des mêmes dispositions dans laquelle les amendes pénales et sanctions administratives encourues étaient d’un montant égal (de sorte que seule la peine d’emprisonnement différenciait les deux) a en effet considéré que ces sanctions n’étaient pas comparables, écartant à cette occasion l’un des critères qu’il avait défini dans sa décision précitée et concluant à la constitutionnalité des textes déférés.

Une nouvelle appréciation déterminante pour l’avenir dès lors que le législateur, en matière d’abus de marché, envisage d’aligner les peines d’amendes sur les sanctions administratives, le seul élément discriminant demeurant la peine d’emprisonnement.

La problématique conventionnelle de la question conserve tout son sens, et l’exécutif et le législateur travaillent à un texte de nature à remédier à tout risque de double poursuite. Il ne semble pas pour autant acquis que ce projet transposera pleinement l’obligation qui est faite à la France, parmi les autres Etats membres de l’Union européenne, par la Directive 2014/57/UE du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 (ci-après la « Directive ») d’ériger en infractions pénales « au moins les formes graves d’opération d’initié, de manipulation de marché et de divulgation illicite d’informations privilégiées, lorsqu’elles sont commises intentionnellement. » (§10).

La caractérisation de la gravité devrait être inclue dans la définition légale des infractions en question, afin de les distinguer clairement des manquements susceptibles d’être constitués par des faits identiques. Toute situation dans laquelle le choix de la qualification pénale plutôt qu’administrative ne reposerait que sur une interprétation de l’autorité de poursuite serait susceptible d’être exposée à une critique d’ordre constitutionnel. Dans une décision récente (n° 2013-328 QPC du 28 juin 2013), le Conseil constitutionnel a considéré que, lorsque des faits qualifiés par la loi de façon identique peuvent, selon le texte d’incrimination sur lequel se fondent les autorités de poursuite, faire encourir à leur auteur des peines, une procédure et une condamnation sensiblement différentes, et que cette différence de traitement n’est justifiée par aucune différence de situation en rapport direct avec l’objet de la loi, une telle différence méconnaît le principe d’égalité devant la loi pénale.

Le critère d’intentionnalité semble discutable. Il n’apparaît pas de nature à participer utilement à la qualification pénale, étant observé que toute infraction est nécessairement intentionnelle au sens de l’article 121-3 du Code pénal, et que la plupart des manquements faisant l’objet de poursuites administratives sont également intentionnels et sanctionnés comme tels par la Commission des sanctions.

Prendre en considération l’effet du manquement et/ou l’ampleur des opérations concernées semble source d’inégalités potentielles de traitement et pourrait en réalité aller à l’encontre de l’objectif légitime de sanctionner pénalement les faits les plus frauduleux et non ceux présentant (parfois mécaniquement) les effets financiers les plus importants.
Le critère de gravité peut reposer sur plusieurs circonstances de fait telles que celles visées par la Directive comme l’appartenance à une bande organisée, la réitération des faits ou la qualité de l’auteur potentiel.

Mais reste la nécessité de définir dans la loi un critère qui, indépendamment des circonstances de commission, justifierait la répression pénale, et qui traduirait la volonté de faire encourir une peine d’emprisonnement aux auteurs des agissements considérés comme « les plus graves ».

Une telle définition relève de la compétence du législateur et, l’aiguillage seul ne permettra pas de suppléer à l’absence de définition légale, sauf à accepter le risque de voir un justiciable dirigé vers la voie pénale engager un recours constitutionnel ou, in fine, conventionnel.

Didier Martin et Guillaume Pellegrin

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Didier Martin

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Avocat à la Cour - Bredin Prat
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