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Legal design

Parler de design à propos du droit a-t-il un sens ?

Un nouveau concept est mis en avant au sein des directions juridiques et des cabinets d’avocats, une notion dont on peut se demander si chaque juriste ne la pratiquait pas déjà, chacun à sa manière, comme M. Jourdain faisait de la prose : le  « legal design ». Le design peut se définir comme la conception d’un objet, afin que son utilisation soit la plus adaptée à ses fonctions, que l’objet soit le plus possible en phase avec son utilisateur. Parler de design à propos du droit – legal design donc – a-t-il un sens ? Sans doute, car si la norme légale ou contractuelle est appréhendée comme un objet, il n’est pas absurde de s’interroger sur la manière dont cette norme doit être présentée à ses utilisateurs, dans le but d’une meilleure compréhension et d’une utilisation optimale.

Mieux comprendre. C’est la première utilité du legal design à laquelle on pense. Présenter différemment une loi, un contrat, des conditions générales, etc. peut donner à l’utilisateur une meilleure compréhension de l’étendue des droits et obligations qui résultent de l’objet juridique « designé ».

Pour un contrat, le legal design pourrait passer par la présentation dématérialisée de l’accord des parties. Plutôt qu’une liasse compacte d’une trentaine de pages que les parties ne liront jamais véritablement, le contrat se présentera sous la forme d’un accès à un site internet, ou d’une pièce jointe à un mail. En accédant au site ou en ouvrant la pièce jointe, le contractant verra apparaître les prérogatives les plus importantes que lui confère le contrat, et en regard l’obligation essentielle qui est mise à sa charge. En cliquant à nouveau sur l’un ou l’autre de ces éléments, le contractant recevra des explications, qui l’auraient distrait si elles lui avaient été présentées ab initio, à valeur formelle égale avec le reste des données contractuelles.

Le legal design peut prendre aussi d’autres formes, plus inattendues, comme … la bande dessinée. Cela se rencontre déjà dans certains pays : tout ou partie d’un contrat pourrait se composer de vignettes décrivant les obligations des parties, ce qui permet à une personne ne comprenant pas la langue de son cocontractant ou ne sachant pas lire d’appréhender le contenu du contrat et d’y consentir.

Les présentations peuvent prendre encore d’autres formes. Le Ministère de l’économie et des finances diffuse ainsi régulièrement des infographies, pour informer sur telle ou telle mesure fiscale, ou sur une loi nouvelle. Cela a été fait notamment lors de l’adoption de la loi Macron, et la loi PACTE ne sera vraisemblablement pas en reste. Les posters juridiques réalisés dans certaines universités comme Aix-Marseille sont à rapprocher de cette forme de communication sur le droit, de même que les films et vidéos pédagogiques réalisés par les cabinets d’avocats pour informer leurs clients sur tel ou tel dispositif juridique ou fiscal.

Exercer plus efficacement ses droits. Mais le legal design n’est pas seulement destiné à mieux informer. Il peut aussi servir à orienter une partie dans l’exercice de ses droits, en vue d’une mise en œuvre plus efficace de ses prérogatives.

Cela peut prendre la forme, sur un site commerçant, d’un formulaire d’indemnisation qui apparaîtra à l’écran – en partie prérempli – lorsque le client attribuera une mauvaise note à une prestation ou à un produit. Là où le client aurait dû prendre l’initiative de la demande d’indemnisation et de sa mise en forme, son droit à réparation sera réalisé plus efficacement si l’idée lui en est donnée par le site et que la mise en forme est facilitée. Si la demande est atteinte par la prescription, le formulaire prérempli n’apparaîtra plus, en revanche.

On perçoit ici le danger d’un legal design orienté. C’est le concepteur du legal design qui détermine quand et comment les droits d’une partie ou d’un justiciable lui sont rendus accessibles… ou non ! Il devient possible de diriger son cocontractant dans l’exercice de ses droits. Si le site par lequel vous accédez à votre contrat vous propose de demander l’indemnisation de tel poste de préjudice et vous fournit le formulaire approprié, penserez-vous à demander réparation de ce qui n’est pas mentionné ? Lorsque le design est numérique, on retrouve l’idée selon laquelle « Code is law » (même si l’auteur de la formule, le professeur Lawrence Lessig, lui donnait un autre sens) : l’idée est ici que le code informatique fait la loi des parties et qu’elles n’ont pas d’autres droits que ceux que l’auteur du code informatique veut bien mettre à leur disposition. Les relations informatiquement faites tiennent lieu de loi à ceux qui les subissent, en somme.

 

Bruno Dondero

Bruno Dondero

Professeur à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne
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