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ICO

Le législateur introduit des jetons dans le Code monétaire et financier

Sous l’acronyme, se cachent des levées de fonds qui utilisent la technologie blockchain, ou tout autre dispositif d’enregistrement électronique partagé, et donnent lieu à l’émission de jetons (ou tokens). Elles ne représentent aujourd’hui qu’une toute petite partie des levées de fonds, mais leur montée en puissance impressionne. Face au développement du phénomène, les réactions des Etats sont contrastées, car si ces modes de financement sont prometteurs, ils sont également vecteurs de risques sérieux : spoliation des investisseurs, blanchiment d’argent ou financement d’activités criminelles, cyber-attaques… Certains pays les ont interdits (Chine, Vietnam…) ; la Suisse a édicté un guide de bonnes pratiques qui explique, en fonction de la nature des jetons, le régime applicable à l’émission. Les Etats-Unis les soumettent au régime des offres au public de titres financiers et aux lourdes contraintes de l’élaboration d’un prospectus. Et la France ? Elle cherche une réponse assurant le meilleur équilibre possible entre protection de l’investisseur et attractivité pour les projets innovants.

Le défi posé au législateur par l’irruption de ces jetons n’est pas de même nature que celui qu’il a rencontré avec la dématérialisation des valeurs mobilières. Car l’évolution technologique n’affecte pas la forme de l’instrument : entre jetons numérisés et titres dématérialisés, il n’y a pas de rupture qui tienne en échec le cadre juridique établi. L’évolution technologique touche, cette fois, la substance même des instruments, autrement-dit, les droits qu’ils représentent : en raison de la nature de l’activité des émetteurs, de l’environnement numérique dans lequel elle s’inscrit, les jetons ne ressemblent pas à nos titres financiers ; si certains confèrent des droits à la perception d’une partie des revenus futurs du projet, d’autres servent de clé d’accès à certains usages et activités numériques ou au paiement de biens ou services délivrés sur le réseau.

La réponse du Projet de loi PACTE (article 26) est originale :  le législateur renonce à la tentation de figer une qualification dans un texte ;  il créée une procédure ad hoc de contrôle de ces émissions par l’AMF qui s’appuie sur un instrument éprouvé – le visa – mais présente une double originalité : la procédure est à la fois résiduelle et optionnelle.

La procédure de visa sera le procédé de contrôle des ICO comme elle est celui des IPO et, pour l’obtenir, l’émetteur devra présenter certaines garanties, publier un document d’information et se soumettre aux obligations imposées au titre de la lutte anti-blanchiment. Mais cette procédure ne sera ouverte à l’émetteur qu’à défaut d’autre réglementation applicable, autrement dit, uniquement si les jetons émis ne sont pas des instruments financiers ou d’autres produits couverts par des réglementations spéciales. Enfin, l’émetteur pourra choisir de se placer sous visa de l’AMF mais rien ne l’y contraindra : les offres sans visa ne seront pas interdites.

Le dispositif inspire trois remarques à ce stade :

La première sur son ambition : si l’article 26 du projet de loi n’était consacré qu’aux ICO – l’opération de marché primaire -, le projet a considérablement évolué au cours du travail parlementaire pour venir poser le cadre du marché secondaire et, au-delà, une régulation très complète des actifs numériques.

La deuxième sur son effectivité : le label de sérieux conféré par le visa est-il suffisamment attractif pour susciter la demande des émetteurs ? Cela pourrait dépendre du droit que le projet prévoit d’attacher au visa : un droit au compte, opposable aux banques, et à la Caisse des dépôts en dernier ressort, qui répugnent aujourd’hui à prendre le risque d’ouvrir même un compte de dépôt à ces émetteurs qui leur inspirent la plus grande méfiance. Cela dépendra aussi du régime fiscal du jeton qui reste très incertain en dépit de l’annonce  de l’application de la flat tax à 30%.

La troisième sur sa pérennité : la Commission européenne n’a pas émis de proposition à ce stade, mais elle y travaille. Or c’est elle qui a la main sur la notion d’instruments financier. Si demain, la Directive MIF 2 qui commande le champ d’application des textes financiers européens est élargie pour englober le jeton au nombre des instruments financiers, les ICO basculeront dans le régime Prospectus et le législateur français devra revoir sa copie.

France Drummond

Professeure de Droit à l'Université Paris II Panthéon-Assas
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