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Guerre et Droit, par Louis Thibierge, professeur agrégé et avocat – De Pardieu Brocas Mafféi, partenaire du Club des juristes

Guerre en Ukraine et contrats en cours : la prudence !

Le contexte international et la guerre en Ukraine frappent de plein fouet nombre de contrats en cours. Coûts du fret et de l’énergie flambants, embargos, difficultés d’approvisionnement… autant de raisons qui poussent certains contractants à voir réviser voire résilier les contrats qui les lient. Quels sont les outils à leur disposition ?

La guerre en Ukraine, imprévisible et irrésistible, n’est-elle pas un cas de force majeure ? Il est impossible de donner une réponse de principe à cette question. La force majeure ne se définit pas in abstracto. L’analyse s’opère in concreto, eu égard à la date de conclusion du contrat, aux capacités des parties à prévoir la survenance de l’événement, à leur aptitude à y résister et à en surmonter les conséquences. Plus encore, la force majeure ne se mesure pas à l’échelle du contrat, mais à celle de l’obligation. Dans un même contrat, telle obligation sera rendue impossible (ex : livrer des marchandises à Kharkiv) tandis que telle autre ne sera pas affectée (ex : obligation de confidentialité). Le maître-mot est donc le sur-mesure (sur ce point, L. Thibierge, Le contrat face à l’imprévu, Economica, 2011, préf. L. Aynès).

On peut toutefois oser quelques réflexions générales. La première est que la force majeure financière n’existe pas. L’impossibilité – alléguée – de payer une obligation de somme d’argent n’est pas un cas de force majeure. Reprenant l’adage selon lequel « les choses de genre ne périssent pas », la Cour de cassation a affirmé en 2014 que « le débiteur d’une obligation contractuelle de somme d’argent inexécutée ne peut s’exonérer de ce cette obligation en invoquant un cas de force majeure » (Cass. 1re civ., 16 sept. 2014, n° 13-20.306 : JurisData n° 2014-020972 ; JCPG 2014, 1117, note V. Mazeaud). La solution a été réitérée à maintes occasions par les juges du fond durant la crise sanitaire (V. not. TJ Paris, 18e ch., 2e sect., 20 janv. 2022, n° 20/06770. – CA Riom, 2 mars 2021, n° 20/01418 : JurisData n° 2021-003263). Plaie d’argent n’est pas mortelle.

La seconde est que la force majeure s’entend exclusivement de l’impossibilité pour le débiteur d’accomplir sa prestation. L’impossibilité pour le créancier de jouir de la prestation promise (ex : le vacancier qui, malade, ne peut jouir de sa réservation d’hôtel) ne relève pas de la force majeure (Cass. 1re civ., 25 nov. 2020, n° 19-21.060 : JurisData n° 2020-019227 ; JCP G 2020, 1409, note M. Mekki ; Cass. civ. 3, 30 juin 2022, n° 21-20.190). Gardons à l’esprit que la force majeure a toujours été conçue comme une excuse à l’inexécution.

La guerre en Ukraine serait-elle alors un cas d’imprévision ? Là encore, donner une réponse de principe serait audacieux. Tout dépend d’une multitude de facteurs : la date de conclusion du contrat (est-il soumis à la réforme de 2016 ?), la prévisibilité du bouleversement, l’acceptation des risques, l’éventuelle renonciation à l’article 1195 du Code civil, mais aussi et surtout l’incidence de la guerre sur les coûts d’exécution. Pour mémoire, l’article 1195 ne permet la révision que lorsque l’exécution est devenue « excessivement onéreuse » pour le débiteur. Faute de jurisprudence, il est délicat de déterminer le seuil de cette excessive onérosité (v. L. Thibierge, « A la recherche de l’imprévision », BRDA 12/22, p. 23).

En admettant que le débiteur soit durement frappé par l’imprévu, une mise en garde s’impose contre deux comportements. Le passage en force tout d’abord : l’article 1195 n’autorise pas le débiteur à augmenter unilatéralement ses tarifs. La solution tient dans la renégociation et, en cas d’échec de celle-ci, à la saisine du juge. La grève ensuite : le Code exige bien que le débiteur continue de s’exécuter. À l’instar du droit administratif en matière de délégation de service public notamment, celui-ci qui a cessé l’exécution risque fort de se voir priver du droit d’obtenir une révision du contrat (en ce sens, CA Paris, pôle 1, ch. 2, 2 juin 2022, n° 21/19284).

Le bon comportement consiste à (i) continuer d’exécuter et (ii) solliciter par écrit une renégociation du contrat. Ce n’est qu’à ces conditions que l’on pourra prétendre à une révision judiciaire. Une dernière précision : si l’exécution était rendue insupportable, une solution peut consister à saisir le juge des référés pour qu’il ordonne des mesures provisoires, dans l’attente du fruit de la négociation ou d’une solution judiciaire au fond (v. L. Thibierge, « Le juge et la renégociation du contrat », RDC 2022/3, p. 151).

Dans ce contexte, pour les contrats en cours de négociation, il paraît sage de stipuler une clause de force majeure et une clause d’imprévision réservant un traitement particulier à la crise ukrainienne, de sorte que l’on puisse invoquer des conséquences nouvelles de ces événements, quand bien même ils ne sont pas per se imprévisibles.

Louis Thibierge, professeur agrégé – avocat De Pardieu Brocas Mafféi, partenaire du Club des juristes

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