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Climat, par Yann Aguila et Guillaume Léonard

L’État sommé d’agir maintenant pour atteindre ses objectifs climatiques de 2030

Par une décision retentissante « Commune de Grande-Synthe », le 1er juillet 2021, le Conseil d’État a enjoint au Gouvernement de prendre des mesures plus ambitieuses en matière de climat. Par un premier arrêt, le 19 novembre 2020, il avait demandé au Gouvernement des explications plus circonstanciées sur sa politique climatique. Cette affaire s’inscrit dans un contexte international où les actions climatiques contre les États tendent à se multiplier (notamment : Cour suprême des Pays-Bas, Urgenda, 20 décembre 2019 ; Cour constitutionnelle fédérale allemande, 24 mars 2021). Elle illustre également la tradition d’ouverture du procès administratif : le juge admet l’intérêt pour agir d’une commune littorale « eu égard à son niveau d’exposition aux risques découlant du phénomène de changement climatique » ; il accepte de juger la politique publique climatique, à travers le prisme du recours contre le refus du Gouvernement de donner suite à la demande de la commune de Grande-Synthe de prendre « toutes mesures utiles » permettant d’infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre (GES).

Ces décisions sont remarquables. Certes, ce n’est pas la première fois que le Conseil d’État est saisi d’un litige critiquant la carence des pouvoirs publics. Il approfondit toutefois son office, s’agissant tant de la définition générale du cadre de son contrôle que de l’appréciation portée, en l’espèce, sur l’action climatique de la France.

S’agissant d’abord des normes de référence de son contrôle, le Conseil d’État mesure l’efficacité des mesures gouvernementales à l’aune d’un étalon précis : l’objectif de réduction des GES de 40 % entre 1990 et 2030, qui résulte de l’article L. 100-4 du code de l’énergie (lequel prolonge le règlement européen 2018/842 du 30 mai 2018). Cet objectif est décliné dans le cadre de budgets carbone pluriannuels adoptés par décret. On aurait pu objecter que l’article L. 100-4 n’est qu’un texte purement programmatique, relevant du droit souple. Mais, et c’est l’une des innovations de cet arrêt, le Conseil d’État lui confère une valeur contraignante en l’interprétant à la lumière de l’accord de Paris de 2015. Il estime que cet accord, même dépourvu d’effet direct, a néanmoins une force interprétative : il doit être « pris en considération dans l’interprétation des dispositions de droit national ».

La Haute juridiction précise ensuite les modalités de son contrôle de la « trajectoire ». Ce dernier se heurtait à une difficulté particulière, liée au facteur temps : la question posée au juge est de savoir si les mesures règlementaires adoptées sont suffisantes pour atteindre les objectifs, en 2030. Dès lors, il s’agit d’un contrôle par anticipation, tourné vers le futur, qui conduit le juge à s’assurer, à la date de sa décision, non pas que les objectifs sont aujourd’hui atteints, mais qu’ils pourront l’être en 2030.

En l’espèce, appliquant ce cadre de raisonnement, le juge administratif a donc estimé que les mesures actuellement en vigueur étaient insuffisantes. Pour parvenir à cette solution, il prend en considération un ensemble d’indices, parmi lesquels le dépassement du premier budget carbone (2015-2018) ou encore le report de l’essentiel de l’effort après 2020 : le rapporteur public prenait l’image d’un coureur de marathon à qui on demanderait, à mi-parcours, de courir trois fois plus vite. L’arrêt mentionne en outre les rapports et avis publiés par des organismes dotés d’une expertise scientifique, en particulier par le Haut conseil pour le climat, dont il s’approprie les considérations. Enfin, il cite la ministre de la transition écologique elle-même, qui mettait en avant le projet de loi Climat et résilience et ses futurs décrets d’application : logiquement, ces textes n’étant pas encore adoptés à la date de l’arrêt, au 1er juillet 2021, le Conseil d’État en déduit que, « sur la base des seules mesures déjà en vigueur », les objectifs ne pourront être atteints. Il enjoint ainsi au Premier ministre de prendre de nouvelles mesures en matière climatique avant le 31 mars 2022.

La tâche était redoutable. Le Conseil d’État était saisi d’une préoccupation majeure de notre temps. Il ne s’est pas dérobé et a assumé toute sa responsabilité. Plus que jamais, le juge, saisi par les citoyens, joue un rôle essentiel de « gardien des promesses » des États.

Par Yann Aguila, avocat associé, et Guillaume Léonard, avocat, Cabinet Bredin Prat, partenaire du Club des juristes. 

Yann Aguila

Yann Aguila

Avocat à la Cour, Bredin Prat
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