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Capitole, par Denys de Béchillon

Les institutions sont-elles vraiment résilientes ?

La pensée constitutionnelle des Lumières, en France comme en Amérique, s’élève sur un fond de pessimisme. Si les Hommes étaient des anges, disait James Madison, ils n’auraient pas besoin d’institutions pour se gouverner. Et si les anges gouvernaient les Hommes, il n’y aurait pas besoin de limiter leurs pouvoirs. Malheureusement, comme on sait…

Leçon complémentaire : les institutions doivent être conçues pour fonctionner malgré les faiblesses probables du personnel politique. Bonne est la Constitution qui assure un gouvernement raisonnable des peuples même lorsqu’ils errent au point de porter au pouvoir des imbéciles, des incapables ou des fous plus ou moins dangereux.

En première analyse, le retour à l’ordre qui a suivi l’invasion foireuse du Capitole a donc de quoi réjouir les constitutionnalistes modernes. Nous nous félicitons de constater que la démocratie a surmonté ce moment de monstruosité. Nous retrouvons le sourire — et pourquoi pas un peu d’émotion — en écoutant le discours d’investiture de Biden ou en regardant Clinton, Bush et Obama célébrer l’unité du peuple américain à Arlington. Nous nous détendons en voyant Pence ou McConnell se désolidariser ouvertement de ce Président incendiaire à qui, jusque-là, ils n’avaient pourtant pas ménagé leur soutien. Le rempart a l’air de tenir. Tout est bien…

Mieux vaudrait pourtant ne pas se rassurer trop vite. Aussi décérébrés soient-ils, les histrions éructant dans les couloirs du Capitole n’étaient que quelques centaines, à peu près pas armés. Il en aurait fallu plus pour menacer le régime. Les symboles en ont pris un coup, mais tout le monde s’en remettra. Surtout, les quatre années sombres qui viennent de s’écouler ne nous ont pas donné l’occasion de déterminer si le système juridique américain est apte, ou pas, à faire pièce aux déraillements bien plus extrêmes qu’il est réputé savoir empêcher. Trump restera comme une tache dans l’histoire, mais il a au moins eu pour lui de n’avoir déclenché aucune guerre et de n’avoir pas non plus écrabouillé les libertés publiques. Nous ne savons donc pas ce qui se serait passé s’il en était allé autrement : s’il avait donné un ordre délirant aux forces armées, par exemple. Bref, que ça nous plaise ou non, la résilience du système n’a pas été vérifiée. Il n’a pas été assez éprouvé pour cela.

Nous avons vu, en revanche, l’incroyable docilité du parti républicain. Jusqu’aux dernières heures de ce règne ubuesque, il ne s’est trouvé dans l’establishment du « grand vieux parti » que quelques preux pour refuser de prêter le flanc à l’obscénité quotidienne de leur chef. Les autres ont tout lâché, dès le début. Rien n’était plus important que la conquête puis la conservation du pouvoir. Il fallait adapter l’offre à la demande. « La base » n’aurait pas compris qu’ils agissent autrement. Décidément, le général de Gaulle voyait juste : une infirmité génétique empêche les partis politiques de servir durablement l’intérêt général.

« La base » ? Un peu plus de 74 millions d’américains ont voté pour Trump en 2020, contre 63 millions en 2016. Ils l’ont fait en parfaite connaissance de cause, à la lumière de ce qu’ils avaient vu et vécu pendant quatre ans, contre vents et marées. Nous devrions y réfléchir un peu plus.

Rien ne nous garantit que les choses n’auraient pas pu tourner beaucoup plus mal sous cette administration. Le fait est là, cruel, et moins spécifiquement américain que nous ne nous efforçons de le croire. Les sociétés occidentales sont déboussolées dans leur ensemble. Elles sont fragiles, manipulables, prêtes à se désarrimer de la raison, de la vérité, de la science et de l’histoire ; possiblement offertes à des aventures terrifiantes…

Nous avons, nous autres juristes, une responsabilité à exercer ici. Il nous revient d’aider les profanes à se défier de leurs illusions naïves et de la fausse sécurité qu’elles procurent. Il nous appartient de connaître et de dire que la force du droit n’est ni absolue ni infinie. Que les institutions et les règles opposent un mur indispensable au vent d’hiver qui vient, mais qu’il ne peut pas tenir tout seul. Tout seul, c’est-à-dire comme par magie, sans que les Hommes — ces Hommes médiocres et insuffisants que nous sommes et auxquels songeaient les philosophes des Lumières — y mettent du leur, par le courage, la lucidité et l’effort qu’il faut pour aller contre la pente. Histoire de sauver ce qui mérite de l’être.

Par Denys de Béchillon, Professeur à l’Université de Pau, Membre du Club des juristes

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Denys De Béchillon

Denys de Béchillon

Professeur de Droit à l’Université de Pau et des Pays de l'Adour
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