fbpx
skip to Main Content

Tensions en Irlande du Nord : le Protocole conclu entre le Royaume-Uni et l’Union européenne a-t-il déjà atteint ses limites ?

Par Aurélien Antoine, Professeur de droit à l’Université de Lyon-Saint-Étienne, Directeur de l’Observatoire du Brexit, et auteur en 2020 de Brexit : Une histoire anglaise aux éditions Dalloz

Le 29 janvier, sur fond de crise sanitaire, l’Union européenne a brièvement porté atteinte au Protocole sur l’Irlande du Nord et à l’Accord du Vendredi saint en souhaitant restreindre les échanges vers le Royaume-Uni dans son ensemble. Quant aux Britanniques, ils peinent à respecter leurs engagements afin d’assurer la fluidité du commerce des biens de première nécessité entre la zone de libre-échange de la Grande-Bretagne et celle de l’Irlande du Nord. Quelques semaines après l’entrée en vigueur du traité de commerce et de coopération, les deux parties le soumettent à rude épreuve.

Quelle fut la nature de l’erreur de l’Union européenne dans l’application du protocole relatif à l’Irlande du Nord ?

Souhaitant mieux garantir l’approvisionnement des 27 États membres en vaccins contre la Covid-19, la Commission a adopté le 29 janvier un règlement d’exécution (UE) n° 2021/111 qui subordonne l’exportation de certains produits à la présentation d’une autorisation, sauf dérogation spéciale. Dans sa version initiale, le Royaume-Uni était exclu du bénéfice d’une telle exception. Cette décision a été prise après que certains fabricants de vaccins, dont la société anglo-suédoise AstraZeneka, ont annoncé ne pas être en mesure de fournir à l’UE autant de doses que prévu. Il en a découlé de vifs débats sur l’interprétation du contrat conclu par la Commission au nom des 27 avec le géant pharmaceutique. Ce dernier a finalement accepté de livrer 9 millions de doses supplémentaires dans les prochaines semaines à la suite de fortes pressions de la Commission qui a entrepris deux actions inédites : la publication du contrat (bien que très largement caviardé) et l’adoption du règlement susvisé.

Dans sa première mouture, la décision du 29 janvier, en n’incluant pas le Royaume-Uni dans le régime d’exemption, nécessitait d’invoquer la clause de sauvegarde du Protocole sur l’Irlande et l’Irlande du Nord adjoint au traité de sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, entré en vigueur le 1er février 2020. En effet, selon le texte, l’Irlande du Nord appartient à l’union douanière britannique, mais aussi à celle de l’Union européenne afin d’éviter toute friction entre les deux Irlande. Exclure tout le Royaume-Uni des dérogations prévues par le règlement d’exécution revenait à en écarter également l’Irlande du Nord. La libre circulation des marchandises entre les deux Irlande n’était plus garantie, ce qui impliquait que l’Union européenne agisse sous l’empire de l’article 16, § 1 du Protocole. Il stipule que, en cas « de graves difficultés économiques, sociétales ou environnementales qui sont susceptibles de perdurer (…), l’Union ou le Royaume-Uni peuvent prendre unilatéralement des mesures de sauvegarde appropriées. » Ces mesures doivent être temporaires, nécessaires et proportionnées. L’annexe 7 indique toutefois que la partie actionnant le mécanisme doit procéder à une notification à l’autre partie ainsi qu’au comité mixte et doit fournir toutes les informations utiles. De plus, des consultations doivent être immédiatement engagées au sein « en vue de trouver une solution mutuellement acceptable ».

Comme l’explique Michael Gove dans sa lettre adressée au vice-président Maroš Šefčovič, la Commission n’a pas respecté les conditions procédurales de l’annexe 7. Le chancelier du duché du Lancastre s’en est vivement ému, tout comme le Premier ministre de la République d’Irlande, à juste titre. Qualifiée de bévue par une grande partie de la presse, la décision de la Commission n’en a pas moins été pensée : il a fallu la rédiger et bien réfléchir à l’application de l’article 16, §1. Ce n’est donc pas qu’une maladresse, mais une faute consciente qui, si elle avait émané du gouvernement britannique, aurait sans doute provoqué beaucoup plus de cris d’orfraie. D’ailleurs, dans la version amendée du règlement d’exécution, la Commission n’a toujours pas jugé utile d’échanger avec le gouvernement britannique.

Que révèle cette passe d’armes des premiers temps de la relation qui se construit entre l’Union européenne et le Royaume-Uni ?

La situation actuelle emporte trois réflexions. Tout d’abord, l’attitude de l’institution de Bruxelles dénote une grande fébrilité dans la gestion de la distribution des vaccins et une volonté de camper sur sa position rigoriste à l’encontre de l’État sorti de l’UE qu’est le Royaume-Uni.

Ensuite, et bien que nous n’en soyons qu’aux premières semaines de l’application du traité de commerce et de coopération, le constat selon lequel cet accord de dernière minute n’était pas une assurance tout risque contre des frictions entre les deux partenaires se vérifie. Il n’est pas étonnant qu’elles se concentrent sur l’Irlande du Nord qui a longtemps posé problème dans les négociations, aussi bien lors de la première phase du Brexit consacrée à la conclusion d’un traité relatif au retrait que lors de la seconde dévolue aux conditions de la relation future. Le sujet du statut de la représentation européenne à Belfast continue de susciter le mécontentement du côté de l’UE. Les difficultés d’approvisionnement des supermarchés d’Irlande du Nord ont conduit Michael Gove à solliciter, par sa lettre du 2 février, une prolongation de la période d’adaptation initialement convenue pour l’agroalimentaire. Les contrôles douaniers prévus par le TCC pour ce secteur devraient s’appliquer pleinement à partir du 1er avril (1er juillet en ce qui concerne l’échange de viande surgelée). Le gouvernement britannique, soutenu par celui de la République d’Irlande, a demandé un report au 1er janvier 2023 au moins. Maroš Šefčovič a répondu que le traité était suffisamment flexible pour surmonter ces obstacles et que, en conséquence, aucune prolongation n’était nécessaire. Par une missive du 10 février, il a exprimé son inquiétude quant au fait que les contrôles aux frontières entre les deux zones de libre-échange auxquelles l’Irlande du Nord appartient soient tout à fait insatisfaisants. Pour le vice-président de la Commission, les carences de l’administration ne permettent pas, pour l’instant, de respecter les termes de l’entente conclue le 17 décembre 2020 entre les deux parties pour mettre pleinement en œuvre le protocole. Le vice-président souligne, de surcroît, que le Royaume-Uni ne s’est pas forcément conformé à ses engagements en publiant des lignes directrices à destination des entreprises qui disposent que le commerce de biens entre la Grande-Bretagne et l’Irlande du Nord non soumis aux procédures déclaratoires standardisées était exonéré de toute obligation d’information aux autorités douanières.

Les observations de la Commission pointent enfin l’impréparation britannique qui était prévisible en raison de la tardiveté de la conclusion du TCC et des contraintes liées à la crise sanitaire qui a redoublé de vigueur outre-Manche depuis le début de l’année. Sous l’angle politique, il faut relever une fois de plus que le Premier ministre britannique a fait preuve d’un optimisme trompeur le 24 décembre 2020 en annonçant que l’accord allait être profitable à l’ensemble des Britanniques. En revanche, l’UE avait raison, à l’époque, d’afficher sa prudence.

Quelles sont les suites à attendre de cette importante mésentente ?

Les dispositifs institutionnels prévus par les traités sont mobilisés. Le 11 février, les deux personnalités qui animent le conseil de partenariat de mise en œuvre du TCC et la commission spéciale chargée du suivi de l’application du protocole se sont rencontrées pour préparer une réunion du comité mixte paritaire chargé de prendre des décisions relatives au traité de sortie et à ses protocoles. Le comité s’est réuni le 24 février et la déclaration commune qui en est issue ne recèle pas d’avancées significatives. Les deux parties se contentent de réitérer leur volonté de trouver des solutions concrètes pour remédier aux frictions en Irlande du Nord qui portent atteinte à l’Accord du Vendredi saint et aux arrangements convenus le 17 décembre 2020.

Il est indispensable qu’une issue soit rapidement trouvée, alors que les négociations sur les services financiers arrivent à leur terme le 31 mars et que « la période de grâce » consentie aux exploitants de supermarchés britanniques et nord-irlandais dans l’application de procédures douanières strictes s’achèvera également le 31 mars. En outre, plus le protocole peine à être appliqué, plus les dissensions risquent de s’accentuer en Irlande du Nord. La nomination de David Frost à la place de Michael Gove, jugé trop conciliant, en tant que coprésident du conseil de partenariat et du comité mixte confirme que la date du 24 décembre 2020 ne marquait vraiment pas la fin des négociations relatives au Brexit. Cependant, en acceptant un report de la date butoir à la ratification du TCC par le Parlement européen (du 28 février au 30 avril), les Britanniques font preuve d’une certaine pondération, sans doute pour éviter de braquer l’UE et ne pas hypothéquer l’obtention d’équivalences avantageuses pour le secteur financier. Quant à l’UE, l’accord le 24 décembre dernier ne se matérialise pas par une plus grande mansuétude. Après quatre années d’âpres négociations, les Européens ont bien l’intention de continuer de prouver à leur partenaire que la sortie de l’UE aura des effets durablement négatifs. Toute nouvelle période de grâce ne sera donc consentie que si le Royaume-Uni applique strictement et rapidement les promesses de décembre 2020 ou s’il consent à un compromis bilatéral sur les règles vétérinaires et phytosanitaires. Les tensions de ce mois de février marquent le premier véritable « stress test » des accords de 2020 et de 2021.

Back To Top
×Close search
Rechercher