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Période post-Brexit : un long chemin de croix

Par Aurélien Antoine, Professeur de droit à l’Université de Lyon-Saint-Étienne, Directeur de l’Observatoire du Brexit

Si le traité de commerce et de coopération censé régir les relations post-Brexit fut un soulagement légitime et le résultat d’un travail acharné des deux parties, la crise de la Covid-19 a provoqué un vif regain de tension entre les deux partenaires sur une tonalité proche de celle qui a prévalu depuis le référendum de 2016. Au fil du temps, les « mini-crises » se succèdent sur plusieurs dossiers, comme si les menaces réciproques devenaient un passage obligé avant la résolution diplomatique de dissensions majeures.

Tout spécialiste de droit international public rappellera que la mise en œuvre d’un traité n’est parfois pas aisée lorsqu’il modifie profondément les relations juridiques entre deux parties. Les premiers mois d’application du traité de commerce et de coopération (TCC) se traduisent par une phase transitionnelle qui ne dit pas son nom, mais qui est ne permet pas de surmonter toutes les difficultés dont cinq rapports de la commission de l’Union européenne de la Chambre des Lords ont fait état, le 23 mars, notamment en ce qui concerne le commerce de denrées alimentaires.

Les Lords ne peuvent que constater l’accumulation des retards aux frontières, les restrictions d’exportations pour plusieurs produits frais, une augmentation des prix de nombreuses denrées agroalimentaires et l’incapacité de deux parties à trouver un arrangement sur le cadre sanitaire et phytosanitaire. De plus en plus de voix se font entendre pour que des équivalences et des certifications en la matière soient rapidement et réciproquement consenties afin de fluidifier les échanges. La commission de la chambre haute note que le partenariat entre l’UE et la Nouvelle-Zélande est plus complet que le traité de commerce et de coopération sur ce sujet. Il suffit d’ailleurs de se pencher sur les accords, fort nombreux, que l’Union européenne a déjà conclus avec des États tiers pour s’étonner de l’absence de progrès avec le Royaume-Uni depuis le début de l’année. Cette lacune persistante s’est traduite par l’embargo pour une durée indéfinie sur l’exportation de coquillages ou les graines de pomme de terre britanniques vers le continent. Le gouvernement de Boris Johnson, particulièrement insatisfait de cette décision qui remonte au début de mois de février, estime qu’il s’agit d’une restriction aux échanges illégale dans la mesure où elle a été actée unilatéralement sans date d’extinction. Devant la commission de l’environnement, de l’alimentation et de l’agriculture de la Chambre des Communes, le ministre de l’Environnement a envisagé une action juridique contre l’UE distincte de celles qui sont prévues par le TCC.

Il peut paraître étonnant de constater que le Royaume-Uni souhaite régler ce différend sur un terrain autre que celui qui a été convenu le 24 décembre 2020. La lecture du rapport de la Chambre des Lords permet de comprendre ce positionnement. Depuis le 1er janvier, le TCC est appliqué provisoirement dans l’attente de sa ratification par le Parlement européen. Les Britanniques jugent que les comités créés par le traité, censés en assurer la mise en œuvre et son suivi par secteur économique, ne sauraient entrer en fonction tant que les députés européens ne se sont pas prononcés. Il en est de même des mécanismes de règlement des différends qui ont été, pourtant, actionnés par la Commission à la suite de la décision unilatérale de Whithall de proroger la période de grâce. Dans une lettre du 23 février, Michael Gove a indiqué que le gouvernement ne considérait pas que « le conseil de partenariat et les autres organes institués par le Titre III de l’accord devaient commencer leurs travaux pendant la période d’application des dispositions provisionnelles de l’accord ». Or, après un premier report au 30 avril accepté par le Royaume-Uni, le Parlement européen a repoussé sine die la ratification du TCC sur fond de contentieux relatif à l’Irlande du Nord. À ce propos, aucun progrès notable n’a été constaté malgré la reprise des négociations. Il y a peu de chances qu’elles aboutissent dans un bref délai puisque la crise de la distribution du vaccin Oxford-AstraZeneca a connu un nouvel épisode qui devrait exacerber un peu plus les oppositions.

Le 26 mars au matin, les 27 ont fini par accepter la proposition de la Commission européenne de renforcer les contrôles sur les exportations de vaccins vers les États tiers avec la possibilité de les interdire si les entreprises ne respectaient pas les volumes d’approvisionnement prévus par le contrat conclu avec l’UE. Les principes de réciprocité et de proportionnalité présideront à l’éventuelle restriction, voire au bannissement de l’envoi de doses hors des frontières de l’Union. Le choix auquel se sont résignés les 27 tranche avec la volonté de conciliation affichée par Boris Johnson, mais qui dissimule sans doute une part de mauvaise foi puisqu’aucun vaccin n’est sorti du territoire britannique, tandis que Pfizer principalement a acheminé plusieurs dizaines de millions de doses outre-Manche. Le déséquilibre pourrait venir d’un clause de priorité que le gouvernement britannique serait parvenu à obtenir. Il serait évidemment intéressant de pouvoir comparer les deux contrats qui n’ont fait l’objet que d’une divulgation très partielle qui empêche d’identifier de réelles différences. Dans les deux cas, le laboratoire s’engage à produire les meilleurs efforts possibles pour satisfaire les commandes. Il est finalement ardu de pouvoir distinguer la mauvaise volonté de la bonne, ou de ce qui résulte de l’application de clauses contractuelles de l’exploitation politique de problèmes de distribution inévitable dans un marché en très forte tension.

Il est impératif que Britanniques et Européens s’entendent sur la distribution des vaccins, car faute d’accord, la politique de la Commission pourrait à nouveau emporter une atteinte au Protocole relatif à l’Irlande du Nord comme à la fin du mois de janvier. La « guerre des vaccins » pourrait rendre encore plus délicate la mise en œuvre du TCC et annihiler durablement tout souhait de coopération dans le cadre des comités prévus par le traité. Les rapports de la Commission de l’Union européenne lèvent d’ailleurs un tabou à la lumière des événements actuels. Il se pourrait que les deux parties soient contraintes de réviser le TCC sur plusieurs chapitres, principalement pour ce qui a trait à la gouvernance et aux mécanismes de fluidification des échanges, sans doute pas assez opérationnels et stricts. La précipitation avec laquelle le TCC a été signé fin décembre était inévitable, mais les deux partenaires doivent désormais acter le fait qu’une transition souple de plusieurs mois est nécessaire. Le rigorisme teinté d’orgueil de l’UE sur la période de grâce doit évoluer et la ratification du TCC par le Parlement européen est indispensable à très brève échéance. Pour sa part, le gouvernement britannique doit faire preuve de plus de sérieux et de volontarisme afin que les contrôles frontaliers soient effectifs, ainsi que les Lords le soutiennent dans leurs recommandations. C’est la condition sine qua non pour que l’ère post-Brexit ne devienne pas un interminable chemin de croix.

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