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L’avenir incertain du Human Rights Act 1998

Par Peggy Ducoulombier, Professeur de droit public, Université de Strasbourg

Au mois de décembre 2021, le panel indépendant d’évaluation du Human Rights Act 1998 (Independent Human Rights Act Review : IHRAR), mis en place par le gouvernement britannique, a publié son rapport ainsi que ses recommandations quant à l’amendement du Human Rights Act 1998 (HRA). Cette loi permet aux justiciables d’invoquer des droits répliquant les droits de la Convention Européenne des droits de l’Homme (CEDH) devant les juges britanniques. Alors que le parti conservateur mène campagne contre la CEDH et le HRA depuis de nombreuses années, le gouvernement britannique a annoncé qu’il n’entendait pas dénoncer la CEDH et le rapport de l’IHRAR a conclu, après de nombreux mois de travail, à des propositions d’amendements du HRA très limitées. Pour autant, le jour de la publication du rapport de l’IHRAR, le gouvernement britannique débutait une consultation visant à remplacer le HRA par une « Modern Bill of Rights », dont le futur contenu pourrait bien placer Londres sur une « collision course » avec Strasbourg.

Les conclusions de l’IHRAR remettent-elles en cause le HRA ?

Le mandat de ce panel d’experts se concentrait sur deux thèmes : (i) les rapports entre les juges et les autres pouvoirs et (ii) entre les juges nationaux et Strasbourg. Alors que les questions posées semblaient vouloir amener l’IHRAR vers la remise en cause d’articles fondamentaux du HRA, les conclusions du rapport sont restées mesurées. Il a ainsi conclu majoritairement au maintien du texte en l’état afin d’éviter de créer un gouffre entre les juridictions nationales et la Cour européenne des droits de l’Homme (Cour EDH) dans l’application des droits conventionnels. Si le rapport de l’IHRAR a recommandé un amendement de l’article 2 du HRA, qui concerne le devoir de prise en compte de la jurisprudence européenne par les juges nationaux, cette proposition ne fait que refléter l’évolution de la jurisprudence britannique sur le sujet, visant à favoriser une utilisation prioritaire des sources « nationales » avant de mobiliser le HRA. Cela pourrait toutefois poser question à l’avenir à la lumière de la décision Lee c. Royaume-Uni, du 7 décembre 2021, dans laquelle la Cour EDH a déclaré la requête irrecevable au motif du non-épuisement des voies de recours internes, le requérant n’ayant pas invoqué les droits issus du HRA devant les juridictions nationales. En revanche, l’IHRAR a conclu que l’idée selon laquelle le HRA aurait amené les juges britanniques à sortir de leur rôle, au détriment de la souveraineté du Parlement et d’une certaine déférence à l’égard de l’Exécutif, était sans fondement. L’utilisation par les juges des articles 3 et 4 du HRA qui prévoient (i) le devoir d’interpréter la loi en harmonie avec la CEDH autant que cela est possible et (ii) la possibilité pour les juridictions britanniques supérieures de déclarer une disposition législative incompatible avec un droit garanti par le HRA ne sont donc pas à l’origine d’une atteinte à la suprématie du Parlement et aucune modification d’envergure n’est recommandée. Mais si les faits sont têtus, le gouvernement l’est encore plus. Ce dernier ignore ainsi la réalité pratique de la manière dont les juges ont utilisé le et préfère maintenir le fantasme selon lequel la séparation des pouvoirs aurait été gravement perturbée par le fonctionnement du HRA.

Pourquoi le gouvernement britannique a-t-il ensuite lancé une consultation portant sur le HRA ?

Alors que le rapport indépendant de l’IHRAR était rendu public en décembre 2021, le gouvernement britannique lançait le même jour une consultation dont l’orientation tout entière repose sur la volonté de remédier aux « défauts » du HRA, afin de défendre la souveraineté du Parlement contre les décisions de la Cour EDH et des juges nationaux sortis de leur rôle. Ainsi, malgré les constats contraires du rapport de l’IHRAR, l’idée d’un déséquilibre dans la séparation des pouvoirs dont serait responsable le HRA innerve cette consultation.

Le gouvernement dénonce par ailleurs l’expansion sans contrôle démocratique des droits par la Cour EDH, notamment par le moyen de l’interprétation évolutive et du développement des obligations positives, rendant la mission des autorités publiques complexe et incertaine.

Enfin, le gouvernement britannique entend restaurer un meilleur équilibre entre les droits individuels et l’intérêt du public, critiquant les recours abusifs fondés sur le HRA, le contrôle de proportionnalité et la manière dont la prise en compte des droits protégés par le HRA empêcherait le gouvernement de poursuivre certains objectifs, comme l’expulsion des étrangers en situation irrégulière ou ayant commis des infractions. Le gouvernement britannique cherche donc à obtenir des avis sur un certain nombre de propositions qui, si elles étaient suivies d’effet, bouleverseraient l’équilibre délicat qui avait été atteint par le HRA et risqueraient d’impacter négativement la protection des droits.

Quels sont les risques pour la relation future du Royaume-Uni et de la Cour EDH ?

Malgré les affirmations du gouvernement britannique sur sa volonté de respecter ses obligations internationales, la future loi qui viendrait remplacer le HRA pourrait placer le Royaume-Uni en confrontation avec Strasbourg. Ainsi, la modification de l’article 3 du HRA dans un sens qui rendrait plus complexe l’interprétation de la loi en harmonie avec la jurisprudence européenne pourrait amener à une augmentation du contentieux devant la Cour EDH. Certes, à de nombreuses reprises, le gouvernement britannique feint d’ignorer que la jurisprudence strasbourgeoise ne l’empêche pas d’atteindre certains buts, si bien que des propositions allant dans le sens qu’il souhaite ne seraient pas forcément problématiques pour la Cour EDH. Ainsi, en matière d’expulsion des étrangers invoquant la protection de l’article 8 de la CEDH, la jurisprudence européenne est moins protectrice que ne le laisse entendre le gouvernement. Cependant, ce n’est pas le cas dans tous les domaines. La dénonciation du développement des obligations positives par la Cour EDH ou de l’effet extraterritorial de la CEDH, semble annoncer des positions irréconciliables, à moins que la Cour EDH ne fasse évoluer sa jurisprudence dans un sens régressif. Enfin, la volonté d’établir un « bouclier démocratique », en rappelant que face à un jugement de condamnation de la Cour EDH le Parlement britannique a le dernier mot, est difficile à réconcilier avec l’article 46 de la CEDH, qui impose aux Etats le respect des arrêts européens qui les sanctionnent.

Cela rapproche le Royaume-Uni d’autres Etats, comme la Russie, qui estiment pouvoir refuser de suivre un arrêt de la Cour EDH jugé contraire à leur Constitution. Le gouvernement britannique semble vouloir aboutir à une loi qui se traduira par une moindre protection des droits au niveau national, incitant les requérants à rechercher à Strasbourg ce qu’ils ne trouveront plus chez eux, le contraire de l’objectif poursuivi par le HRA qui avait réussi à « ramener les droits à la maison ». En effet, le Royaume-Uni est l’un des pays qui compte le moins de requêtes présentées à la Cour EDH par habitant et un niveau de condamnation très faible. Si d’aventure celles-ci devaient augmenter, il est probable que cela n’améliorerait pas les relations entre Londres et Strasbourg, accusée de nouveau de faire fi de la souveraineté des Etats et de leur marge d’appréciation. Dans une telle situation, il ne serait pas impossible de voir revenir sur le devant de la scène politique le projet de dénonciation de la CEDH.

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