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Union Européenne Assistance Financière Brexit

L’assistance financière de l’UE consécutive au Brexit parachevée dans le cadre d’un processus et d’un dispositif hétérodoxes

Par Aymeric Potteau, Professeur à l’Université de Lille (CRDP-ERDP)

L’Union européenne ne pouvait sans doute ignorer les plaies causées par le Brexit pour ses Etats membres, et atténuer les conséquences socioéconomiques du divorce entre Londres et Bruxelles était sans doute nécessaire. Lors du trilogue du 17 juin 2021, un accord entre les représentants des colégislateurs a été trouvé à propos de la proposition de règlement établissant la réserve d’ajustement au Brexit de sorte que l’acte normatif fondant l’assistance financière devrait être formellement adopté à l’automne 2021, ouvrant ainsi la voie au versement des fonds selon des conditions promptement négociées dans le cadre d’un processus et d’un dispositif discutables.

La réserve d’ajustement au Brexit (RAB ou BAR selon l’acronyme anglo-saxon, ce qui, dans les deux cas « ne manque pas de sel ») est une initiative de l’extraordinaire Conseil européen des 17, 18, 19, 20 et 21 juillet 2020 consacré au cadre financier pluriannuel 2021-2027 (CFP) et à Next Generation. Dans ses coutumières conclusions arbitrales en la matière, il en a conçu non seulement le principe mais aussi le montant exact, du moins en euros constants – 5 milliards € (px 2018) – ainsi que le support technique dans le CFP sous forme d’un instrument spécial.

De quel processus décisionnel cet instrument est-il issu ?

L’organe sommital s’est ainsi prononcé en l’absence de toute proposition formelle d’assistance financière de la Commission, à telle enseigne que, dépourvu de pouvoir législatif (art. 15 § 1 UE), il s’est reconnu la faculté, sinon d’enjoindre, en tous les cas d’ « inviter » l’institution détentrice du pouvoir d’initiative de présenter dans les trois mois – « d’ici novembre 2020 » (§ 134) – une proposition d’acte normatif susceptible de fonder juridiquement cette assistance financière visant, au moyen de subventions du budget général de l’UE aux Etats membres, à atténuer l’incidence du retrait britannique sur la cohésion économique, sociale et territoriale au sein de l’UE.

Bien qu’ayant renoncé, compte tenu de l’urgence, à recourir à l’analyse d’impact et à la consultation des parties intéressées, la Commission ne déférera à cette sollicitation que le 25 décembre 2020 soit plusieurs jours après l’adoption, le 17 décembre 2020, du CFP intégrant pourtant, parmi les instruments de flexibilité du cadre, la RAB alors dépourvue de toute assise légale (art. 10). A cet égard, le CFP ne supplée d’ailleurs aucunement puisque, s’il prend la forme d’un règlement à caractère législatif, il a pour principale fonction, non pas d’établir le fondement juridique des dépenses de l’organisation (art. 310 § 3 FUE[1]), mais d’assurer la discipline budgétaire en établissant des plafonds annuels de crédits par grandes catégories de dépenses (art. 312 FUE).

Il n’en demeure pas moins que la négociation de « l’acte de base [2]» de cette assistance financière (trouvant principalement son siège dans les stipulations du traité FUE afférentes à la politique de cohésion ; art. 175) aura été achevée en un semestre dans le cadre d’un accord précoce, c’est-à-dire dès la première lecture de la procédure législative ordinaire. L’hétérodoxie du processus a sans doute paradoxalement bénéficié à la dynamique intégrative de négociation puisqu’en ayant de facto pris l’initiative de la « réserve », le Conseil européen n’a pu, en l’absence de propositions précises d’acte législatif, arbitrer dans le détail les modalités (par exemple de répartition de la manne entre les Etats membres, contrairement donc à ce qu’il se permet communément de faire dans le cadre de la négociation du CFP en contravention notoire avec ses « attributions constitutionnelles »). Non préempté par des conclusions consensuelles du « sommet », cet office a donc pu être intégralement exercé par le législateur conformément « à la méthode communautaire » combinant vote à la majorité qualifiée au Conseil de l’UE et « codécision » avec le PE.

Comment le législateur a-t-il remodelé cet instrument d’assistance financière ?

Force est de constater que les parlementaires sont parvenus à imprimer leur marque à propos des mesures éligibles au soutien financier de la RAB. Si le texte provisoirement agréé définit largement les mesures nationales (étatiques ou infra-étatiques) qui, prises spécifiquement en vue de pallier les conséquences négatives du Brexit, sont susceptibles de faire l’objet d’une contribution financière de la RAB, il exclut expressément non seulement la TVA et les dépenses à l’appui de délocalisations – déjà mentionnées par la Commission – mais aussi et surtout le secteur financier (cons. n°6) et, à l’inverse, flèche, pour les membres dont le secteur de la pêche est affecté par le Brexit, un montant minimum en faveur des communautés côtières locales (art. 4 §3). A l’initiative convergente des deux branches de l’autorité législative, la période de référence, c’est-à-dire d’éligibilité des mesures susceptibles d’être soutenues, a en outre été élargie d’une année et demie (1er janvier 2020 au 31 décembre 2023), la Commission proposant de la clore au terme de 2022. Les parlementaires ne sont cependant pas parvenus à obtenir l’extension du caractère rétroactif au 1er janvier 2019 en vue de soutenir les mesures de préparation au retrait prises en amont de ce dernier.

Inutile de dire que délicate fut l’appréhension de la règle stratégique de ventilation entre les membres de la dotation de la réserve, elle-même d’ores et déjà globalement plafonnée, du moins en qualité d’instrument spécial, par le CFP en prix constant. Vif sera d’ailleurs le débat au sein même de l’institution parlementaire dont le mandat des membres n’immunise sans doute pas intégralement à l’égard de tout tropisme national. Lucide, le Parlement n’engagera en tout état de cause pas de bras de fer avec l’organe intergouvernemental en la matière. Il se ralliera précocement à la position du Conseil lui-même confronté dans un premier temps à l’opposition d’une coalition d’Etats membres détenteurs de la minorité de blocage (France, Espagne, Italie et Roumanie notamment[3]) et franchement hostiles à la méthode suggérée par la Commission. L’un des éléments du compromis intergouvernemental a consisté à ajouter un troisième facteur, quantitativement marginal, aux deux principaux proposés par la Commission et à l’appliquer à l’intégralité de la dotation. Ainsi, 83% de la dotation seront alloués en fonction du facteur lié aux échanges commerciaux avec le Royaume-Uni, 12 % en fonction du facteur lié aux poissons capturés dans les eaux relevant de la zone économique exclusive du Royaume-Uni et 5 % en fonction du facteur lié à la population des régions frontalières maritimes avec le Royaume-Uni. Favorables à la France notamment, puisqu’elle devrait finalement bénéficier d’environ 600 millions d’euros, ces ajustements n’ont cependant qu’une incidence limitée sur les principales enveloppes qui demeurent celle de l’Irlande (un milliard d’euros environ) et de l’un des principaux contributeurs nets parmi les mieux nantis de l’UE, à savoir les Pays-Bas (avec environ 800 millions d’euros).

En quoi cet instrument d’assistance financière est-il « très » spécial ?

Le législateur entérine dans une large mesure des modalités de gestion partagée particulièrement souples puisque, sans avoir à présenter au préalable de programme national, chaque Etat membre est finalement libre de recourir à son enveloppe en vue de financer la vaste étendue de mesures éligibles, étant entendu que l’obole européenne est conçue comme un « remboursement » des coûts admissibles réellement engagés durant la période de référence. Dès cette année 2021 et durant les deux prochaines années, les fonds seront progressivement versés à chaque Etat membre au titre du préfinancement (32 % de la dotation en 2021, 24 % en 2022 et 24 % en 2023) sachant que les 20 % de solde seront débloqués en 2025 au terme de la phase d’apurement des préfinancements sur la base des déclarations de dépenses et de l’examen de leur éligibilité. Gages sans doute de flexibilité et de réactivité, ces modalités pour le moins libérales avaient suscité, de la part de la Cour des comptes européenne, quelques réserves eu égard aux risques, vu le volume de préfinancement, qu’elles sont susceptibles d’engendrer.

Compte tenu de son objet – répondre dans un esprit de solidarité à une forme de calamité -, la RAB présente, malgré son caractère ponctuel, des similitudes avec le Fonds de solidarité de l’UE ou encore le Fonds d’ajustement à la mondialisation. Pour autant, compte tenu de son fonctionnement, il est pour le moins spécieux de l’intégrer, comme s’y est pourtant risqué le règlement fixant le CFP, parmi les instruments spéciaux qui, visant à répondre à des impondérables, devraient pour cette raison être placés hors des plafonds annuels de crédits. Reste à déterminer si cette incongruité aurait pu être évitée en respectant davantage la « méthode communautaire ».

[1] Voir mutatis mutandis l’affaire du programme d’action communautaire contre l’exclusion sociale : CJCE, 12 mai 1998, Royaume-Uni c/ Commission, Aff. C-106/96, Rec. p. I-2729, point 28.

[2] Sur cette notion, voir l’article 2 sous 4) du règlement (UE, Euratom) 2018/1046 du Parlement européen et du Conseil du 18 juillet 2018 relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union, JOUE n° L 193 du 30 juillet 2018, p. 1.

[3] Agence Europe n°12688 du 29 mars 2021.

 

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