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3 questions à Eve Truilhé-Marengo sur l’adoption par le Parlement Européen d’une résolution concernant l’huile de palme

Le Parlement européen a adopté, mardi 4 avril 2017, une résolution sur l’huile de palme et la déforestation des forêts tropicales humides pour laquelle l’Union Européenne a sa part de responsabilité. Eve Truilhé-Marengo, Chargée de recherche au CNRS, Chargée d’enseignement à la Faculté de droit d’Aix-Marseille et de Toulon et Responsable de la Clinique juridique de l’environnement, décrypte cette résolution du Parlement Européen.

« Le processus législatif est long et complexe, l’adoption d’un texte contraignant régissant l’utilisation de l’huile de palme n’est donc pas pour demain. »

Quels sont les enjeux de cette résolution ?

Très peu utilisé il y a encore une trentaine d’années, le palmier à huile est aujourd’hui surexploité. Le secteur énergétique est, de loin, le principal consommateur : 60 % des importations européennes d’huile de palme lui sont destinées, avec une répartition de 45 % pour les biocarburants et de 15 % pour la production d’électricité et le chauffage. Le reste est utilisé par les industries cosmétiques et alimentaires (margarine, chips, pâte à tartiner, biscuits). L’huile de palme, la plus consommée au monde, présente un très bon rendement à l’hectare et un très faible coût de production. La demande sans cesse croissante se traduit par la conversion massive de forêts tropicales, majoritairement malaisiennes et indonésiennes, en monoculture de palmier à huile. L’une des conséquences majeures de la production croissante de l’huile de palme est bien sûr la déforestation : les écosystèmes tropicaux, qui représentent aujourd’hui seulement 7 % de la surface de la terre, sont détruits au profit de cette culture. En conséquence, de nombreuses espèces animales telles que le rhinocéros de Sumatra, le tigre de Sumatra ou les orangs outangs sont menacées. Les autres conséquences environnementales n’en sont pas moins désastreuses : perte de services écosystémiques, répercussion sur le climat etc.

Avec 6,6 millions de tonnes d’huile de palme importées en 2016 – soit près de 10% de la production mondiale – l’Union européenne est le deuxième importateur, derrière l’Inde et devant la Chine. Or l’Union européenne est très fortement engagée au plan international dans la protection de l’environnement en général et dans la lutte contre l’érosion de la biodiversité, et le changement climatique en particulier. Elle est notamment signataire de la Convention des Nations unies sur la diversité biologique (CDB) et de la convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC). L’importation massive de l’huile de palme par les pays européens met sans aucun doute en péril les objectifs de ces traités internationaux. On doit donc se demander ce que fait l’Union européenne pour enrayer ce phénomène et se conformer à ses engagements internationaux.

On serait tenté de répondre : pour l’heure pas grand chose ! Les institutions européennes ont d’abord promu les biocarburants. Le développement de ce type de carburant issu de la biomasse, moins nocif pour l’air ambiant, participe à une meilleure qualité de l’air et à la réduction des émissions de gaz à effet de serre en même temps qu’il constitue une réponse à l’épuisement des réserves mondiales d’énergies fossiles. Mais, illustration de la complexité des politiques environnementales, le développement des biocarburants entraîne donc également de lourdes conséquences négatives en matière de biodiversité, de sécurité alimentaire mondiale et de lutte contre le changement climatique. C’est pourquoi, la directive 2009/28 du 23 avril 2009 soumet l’utilisation de ce type de carburant à des critères de durabilité (ceux-ci ne doivent pas par exemple provenir des matières provenant de terres « de grande valeur en termes de diversité biologique » comme les forêts primaires et autres surfaces boisées primaires, ni de terres présentant un important stock de carbone). La révision en cours de la directive relative aux énergies renouvelables pour la période 2020-2030 prévoit une baisse significative de la part des biocarburants de première génération.  Les choses évoluent donc. Lentement.

C’est dans ce contexte que le Parlement européen a voté pour le 4 avril dernier, une résolution sur l’huile de palme et la déforestation des forêts tropicales humides. Il s’agit d’inciter l’Union à lutter contre la déforestation et l’import de dérivés de palme qui ne respecteraient pas certains critères de durabilité. La résolution prône la création d’une certification spécifique et unique n’autorisant que de l’huile de palme durable pour les importations en Europe. Les certifications volontaires existantes seraient remplacées au sein de l’Union européenne pour être conformes à de nouveaux critères parmi lesquels la non-dégradation des écosystèmes, l’absence de changement dans l’affectation des sols, de problèmes économiques, sociaux et environnementaux, le respect des droits fondamentaux etc.

La portée de cette résolution est à relativiser. Il s’agit d’un acte non contraignant. Le pouvoir d’initiative législative du Parlement européen est extrêmement réduit puisqu’il se borne à la faculté de demander à la Commission de soumettre une proposition. L’adoption d’un tel texte vise donc seulement à inciter la Commission européenne à agir. Si le Parlement européen ne dispose d’aucun moyen pour contraindre la Commission, ce genre d’initiative a déjà porté ses fruits : l’assemblée européenne avait par exemple incité la Commission à pallier les lacunes du droit de l’Union en adoptant, en 2010, une « Résolution sur l’action de l’Union européenne dans les domaines de l’exploration pétrolière et de l’extraction du pétrole en Europe » qui a débouché sur l’adoption d’une directive en 2013. Mais le processus législatif est long et complexe, l’adoption d’un texte contraignant régissant l’utilisation de l’huile de palme n’est donc pas pour demain.

 Quelle autorité est compétente pour vérifier les engagements pris par les pays européens vis-à-vis de l’huile de palme ?

Les engagements pris par les pays européens, on vient de le voir, sont pour l’heure relativement réduits. La réforme de la directive sur les biocarburants n’a pas encore été votée et la réduction ne sera effective qu’à partir de 2020. De la même manière, la Déclaration d’Amsterdam par laquelle la France, l’Allemagne, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et le Danemark, s’engagent à atteindre 100% d’huile de palme durable en Europe, se fixe un horizon de 2020. Quant aux organismes mis en place pour contrôler les systèmes de certification existants, ils sont notoirement insuffisants et ne garantissent pas que l’huile de palme mise sur le marché de l’Union satisfait à toutes les normes nécessaires et est produite de manière durable.

 A quelles sanctions s’exposent les pays ne respectant pas les engagements pris en faveur de l’environnement ?

Au plan international, un Etat pourrait parfaitement attraire un autre Etat, européen par exemple, devant la Cour internationale de justice pour manquement à ses obligations internationales. Eu égard aux conséquences de l’importation massive d’huile de palme sur la biodiversité ou sur le climat on pourrait imaginer que la Convention sur la diversité biologique ou sur les changements climatiques soit invoquée. En pratique cependant c’est très peu probable, les chances de succès d’une telle action étant extrêmement limitées au regard des engagements très souples auxquels ont souscrit les Etats en signant de tels Traités. Au plan européen, c’est la Commission européenne qui est garante du respect des obligations que les Etats membres tiennent du droit de l’Union, c’est elle qui pourrait donc, si elle constatait une violation d’une norme européenne contraignante, poursuivre l’Etat défaillant devant la Cour de Justice de l’Union européenne. Mais compte tenu de l’absence de texte contraignant relatif à l’huile de palme, une telle action est aujourd’hui exclue. Il faudra donc attendre qu’une norme contraignante, règlement ou plus probablement directive, soit adoptée pour que la Commission et la Cour puissent en assurer la bonne application.

Dans ce contexte, on peut enfin imaginer que la société civile puisse avoir un rôle à jouer. De plus en plus fréquemment des ONG se tournent vers le juge pour mener leur combat pour la cause environnementale (voir Quel modèle pour le procès environnemental, Dalloz, 27 avril 2017). A la demande de l’association Urgenda, un juge hollandais a condamné les Pays-Bas à prendre des mesures climatiques aptes à protéger les intérêts de ses citoyens ; un agriculteur pakistanais a obtenu de la justice une commission de contrôle de la politique climatique du pays ; l’État de Washington a été condamné à la suite d’une action engagée par des mineurs représentés par l’association américaine Our childrens. Dans un ordre juridique bien choisi, doté d’une conception large de l’intérêt à agir, donc davantage devant un juge national que devant une juridiction internationale, une action menée par une ONG contre un Etat laxiste en la matière ne serait pas dénuée de chance de succès.

Par Eve Truilhé-Marengo

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