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Reporting public : un excès de transparence

Le Conseil constitutionnel vient de censurer une disposition de la loi Sapin II qui visait à rendre publique la déclaration fiscale d’activité pays par pays dite CBCR (Country by Country Reporting). Cette décision est passée presqu’inaperçue. Elle est pourtant d’une importance capitale.

La transparence, principal vecteur de la lutte contre l’évasion fiscale, est devenue l’alpha et l’omega de toute politique fiscale en matière internationale. La France fait figure de fer de lance en la matière. Dans la course à la transparence, elle caracole en tête, s’empressant de mettre en œuvre les initiatives de l’OCDE ou de la Commission européenne, fussent-elles encore à l’état de projet.

Ainsi, bien que la directive européenne sur la coopération administrative ne soit pas encore révisée, les grandes entreprises multinationales doivent dès cette année fournir à l’administration fiscale des données précises sur la répartition pays par pays de leur chiffre d’affaires et de leur résultat, ainsi que la localisation de leurs activités et des impôts qu’elles acquittent.

Mais la Commission européenne veut aller plus loin et rendre le CBCR public. Vous et moi pourrions savoir où les grands groupes internationaux payent leurs impôts dans l’Union, et dans quelle proportion. A en croire la Commission, les « citoyens » seraient enfin en mesure d’ « évaluer les stratégies fiscales des multinationales et leur contribution au bien-être ». En clair, les entreprises jugées non « citoyennes » seraient publiquement pointées du doigt.

Cette proposition, promue par les ONG, suscite des réserves dans certains Etats, dont l’Allemagne. Qu’à cela ne tienne, la France a choisi de devancer l’appel en imposant le CBCR public à compter de 2018 au plus tard, quelle que soit l’issue du projet européen.

Le Conseil constitutionnel a brisé ce bel élan. Il a censuré le texte pour atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre. Il est vrai qu’en imposant la divulgation d’informations sensibles, le législateur faisait peser une grave menace sur les entreprises, car il les exposait à dévoiler des éléments essentiels de leur stratégie industrielle et commerciale à leurs concurrents.

Dans ce contexte, le projet de CBCR public européen semble mal engagé. Mais qu’adviendra-t-il si une directive est finalement adoptée ? Il faudra bien la transposer. Comment le Conseil constitutionnel pourrait-il s’incliner devant ce qu’il a déjà censuré ? Ordinairement, il se refuse à contrôler les lois de transposition, à moins qu’il ne soit porté atteinte à l’identité constitutionnelle de la France. Alors ?

Le droit à l’information est légitime et le devoir de transparence essentiel dans un monde ouvert. Mais, dans une société libre, la liberté d’entreprendre constitue une valeur fondamentale. Lorsqu’elle est menacée, c’est la liberté elle-même qui est compromise et, avec elle, l’équilibre de notre système politique et juridique tout entier. « Liberté ! Liberté chérie / Combats avec tes défenseurs ! »

Gauthier Blanluet

Gauthier Blanluet

Professeur à l'Université Paris II Panthéon-Assas - Avocat à la Cour, Sullivan & Cromwell
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