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Réforme de la prescription en matière d’agressions sexuelles : renforcement des droits des victimes ou mépris des droits de la défense ?

Les Sénateurs examinaient, ce mercredi 28 mai, une proposition de loi visant à modifier le délai de prescription de l’action publique en matière d’agressions sexuelles.

La proposition, portée entre autres par la Sénatrice Chantal Jouanno, part du constat selon lequel le délai aujourd’hui offert par la loi pour agir en justice – 1, 3 ou 10 ans selon la gravité de l’infraction – serait inadapté au traumatisme des victimes d’agressions sexuelles. Certaines d’entre elles en effet, souffrant de formes aiguës de stress post-traumatique pouvant aller jusqu’à l’amnésie, ne seraient pas psychiquement en mesure d’agir pendant de nombreuses années après les faits. Les auteurs de la proposition de loi entendent y pallier en reportant le point de départ du délai pour agir au jour où la victime prend conscience des faits, ce qui revient, de facto, à déclarer quasi-imprescriptibles les agressions sexuelles.

Leur démarche, comme trop souvent, apparaît dictée par l’émotion. Ici, celle suscitée dans l’opinion publique par un arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation du 18 décembre dernier. La Cour avait en effet rejeté l’action intentée par une femme abusée dans son enfance qui, par suite d’amnésie traumatique consécutive, n’avait pris conscience des faits que 34 ans plus tard, à une époque où la prescription était déjà acquise. A s’en tenir au seul sort de cette femme doublement victime – d’avoir été abusée d’abord, de voir se fermer les portes de la justice ensuite – le souhait d’une réaction législative pourrait se comprendre facilement.

Sa légitimité trouverait d’ailleurs sa source dans la pratique du droit pénal des affaires. Il s’agirait d’établir un « strict parallélisme entre le régime de prescription des viols et agression sexuelles et le régime de prescription appliqué aux abus de bien sociaux », infraction pour laquelle la jurisprudence admet sous certaines conditions de reporter le point de départ de la prescription au jour où l’infraction a été révélée. Cependant, outre que le parallèle est discutable, une telle jurisprudence est largement décriée par une grande majorité de juristes, qui appellent à son abandon. On peut dès lors douter qu’elle serve utilement de modèle au droit de la prescription des infractions sexuelles.

Surtout, on peut s’interroger sur la pertinence d’un nouveau report du point de départ de la prescription en matière d’agressions sexuelles. Il faut en effet rappeler que la prescription est déjà dérogatoire au droit commun en ce domaine lorsque les victimes sont mineures à l’époque des faits, le délai pour agir étant alors porté à 20 ans à compter de la majorité de l’auteur. Concrètement, les victimes mineures peuvent aujourd’hui agir jusqu’à leur 38 ans.

N’est-pas là suffisant ? La prescription, si elle peut paraître injuste aux parties civiles qui s’y heurtent, est une institution essentielle au système juridique français. Non seulement elle garantit un droit à l’oubli et à la sécurité juridique, mais elle limite également les risques d’erreur judiciaire, en interdisant que le procès prenne place à une époque où la fiabilité des preuves ne serait plus assurée. En ce sens, elle est peut-être d’abord et avant tout une garantie de l’effectivité des droits de la défense.

La proposition de loi aujourd’hui présentée tend à l’oublier, à force d’être entièrement tournée vers la victime dont la parole doit être libérée, portée en justice, et peut-être, demain, sacralisée. La Sénatrice à l’origine de la proposition de loi, interrogée sur les difficultés probatoires que susciteront nécessairement des procès tardifs, suggère en effet déjà, pour éviter que la victime se heurte à une négation de sa souffrance, que l’on puisse « croire toutes les victimes sur parole ».

On ne saurait davantage sacrifier les droits de la défense sur l’autel de l’empathie. Mais il faudrait, pour s’en rendre compte, cesser de réduire le procès pénal à sa valeur thérapeutique pour la victime. Il faut parfois laisser le temps faire son œuvre, aussi sévère soit-elle.

Julien Klein

Professeur à l’Université de Rouen

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