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Juridiction ad hoc. Pourquoi ne pas traiter tout le contentieux boursier devant une seule juridiction ?

Le contentieux boursier a ceci de particulier que des mêmes faits peuvent être sanctionnés devant trois types d’instances différentes. Un abus de marché, qu’il s’agisse d’une opération d’initié, de diffusions d’informations fausses ou trompeuses, ou de manipulations de cours, peut ainsi faire l’objet de procédures devant la Commission des sanctions de l’AMF, devant la juridiction pénale et/ ou devant les juridictions civiles. Le mis en cause peut donc, le cas échéant, être sanctionné une, deux, voire trois fois. Les plus hautes juridictions françaises ( Cons. const., déc. 28 juill. 1989, n° 89-260 DC : JO 1er août 1989, p. 9676 ; Cons. const., 17 janv. 2013, déc. n°2012-289 QPC : JO 18 janv. 2013, p. 1294. – CE, 21 juin 2013, n° 345500 : JurisData n° 2013-012497. – Cass. crim, 22 janv. 2014, n° 12-83.579 : JurisData n°2014-000571 ) ont admis que ce cumul de sanctions n’était contraire ni à l’article 4 du protocole n° 7 additionnel à la Convention EDH, ni à l’article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (qui garantissent le droit à ne pas être jugé ou puni pénalement deux fois pour une même infraction), dès lors que le montant global des amendes susceptibles d’être prononcées ne dépassait pas le plafond de la sanction encourue la plus élevée.

Pour autant, ce système n’est pas satisfaisant : il est compliqué et aboutit parfois à des solutions qui apparaissent contradictoires. Certes, la procédure devant la Commission des sanctions de l’AMF prête de moins en moins le flan à la critique : les garanties procédurales qui, il y a dix ans, étaient un peu malmenées sont maintenant assurées, y compris en ce qui concerne la motivation de la décision, au point qu’on a pu dire que la Commission des sanctions était devenue une juridiction. Les affaires, souvent très complexes et en constante évolution, sont examinées rapidement (devant la Commission, les délais sont inférieurs à 12 mois) par des personnes qui disposent d’une expertise technique que ne pourrait mobiliser une juridiction pénale en un temps en adéquation avec la vie des affaires. Outre le fait qu’on peut s’interroger sur la conformité de ce cumul de poursuites et de sanctions avec le principe non bis in idem (V. not. CEDH, 4 mars 2014, nos 18640/10, 18647/10, 18663/10, 18668/10 et 18698/10, Grande Stevens et a. c/ Italie, § 202 s. ) et les textes communautaires à venir (not. la proposition de directive relative aux sanctions pénales applicables aux opérations d’initiés et aux manipulations de marché qui sera adoptée en juin prochain, COM(2011) 654 final ), la faiblesse du système français actuel réside dans le fait que la réparation des préjudices subis par des investisseurs lésés est quasiment inexistante.

Il est temps de réfléchir, comme l’a fait le professeur Dominique Schmidt lors d’un récent colloque du CREDA (Centre de recherche sur le droit des affaires de la CCI Paris Ile-de-France) consacré aux sanctions des abus de marché (actes à paraître in Rev. Lamy dr. aff. juin 2014 ), à l’opportunité de traiter l’intégralité du contentieux boursier au sein d’une juridiction unique, y compris le contentieux de la réparation. Une telle structure présenterait l’avantage d’une extrême spécialisation à tous les stades de la procédure, d’une répartition plus cohérente des missions, que ce soit au niveau de l’instruction ou au niveau de l’élaboration de la sanction, ainsi qu’un accès plus aisé à la justice des investisseurs ayant subi un préjudice du fait de la diffusion d’une fausse information ou d’une manipulation de cours.

Deux solutions sont intellectuellement envisageables. Soit transformer la Commission des sanctions en juridiction de plein exercice (V. A.-V. Le Fur et D. Schmidt, Il faut un tribunal des marchés financiers : D. 2014, p. 551 ). Soit investir une juridiction existante d’une compétence exclusive en la matière. Ce pourrait être le tribunal de commerce de Paris, dont on sait la célérité et la compétence ; sauf à admettre que les sanctions administratives deviennent des amendes civiles et que le contentieux pénal, cantonné aux infractions les plus graves, selon les critères retenus par la directive à venir ( prop. Dir. préc.), soit confi é à une chambre spécialisée.

Nous sommes, depuis le 6 décembre 2013, dotés d’un parquet financier ; il y aurait une certaine logique à ce que l’on dispose, aussi, d’une juridiction financière…

DIDIER KLING, vice-président trésorier de la CCI Paris Ile de France, président du Comité technique du CREDA (Centre de recherche sur le droit des affaires de la CCIP), membre du Club des juristes.

NATHALIE HUET, chargée de recherche au CREDA (Centre de recherche sur le droit des affaires de la CCI Paris Ile de France).

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Didier Kling

Didier Kling

Président de la Chambre de commerce et d'industrie de Paris, Président d'honneur du Conseil national des commissaires aux comptes
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