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Éloge de l’article 49-3

Les fondateurs de la Ve République avaient le sens du tragique. Ils savaient que les parlements ne sont pas toujours raisonnables et les partis politiques encore moins.

L’article 49-3 de la Constitution a été conçu pour en tirer l’enseignement. Avec lui, la loi sera considérée comme adoptée si aucune motion de censure n’est votée. La majorité doit donc choisir : laisser passer un texte qui lui déplaît ou consentir à un assassinat ― celui du Gouvernement ― doublé d’un suicide ― le sien propre puisque le Président de la République dissoudra l’Assemblée afin que le peuple arbitre l’affrontement (et que d’aucuns n’y retrouveront pas leurs sièges).

L’impopularité du procédé s’accroît pourtant. Le constituant de 2008 avait, pour la rendre moins effrayante, tenté d’émousser la lame en interdisant que l’article 49-3 soit employé plus d’une fois par session parlementaire (hors lois de finances). L’entreprise a échoué comme on l’a bien vu avec les lois Macron et El Khomri : au lieu de rendre le procédé plus comestible, on a renforcé la détestation dont il fait l’objet. C’est d’ailleurs fort logique : pourquoi corseter a priori l’usage d’une procédure constitutionnelle s’il n’y a rien de grave à reprocher à son principe ?

Mais n’est-ce pas le signe qu’il faudrait en finir et abroger l’article 49-3 (ce qui requerrait une majorité des 3/5e du Parlement) ? Sans doute pas. L’histoire montre qu’il est loin de n’avoir servi qu’à faire adopter des textes scélérats. On lui doit aussi l’édiction de lois courageuses ― et parfois urgemment nécessaires ― auxquelles faisaient obstacles d’assez médiocres calculs politiciens dont celui qui consiste à refuser tout compromis pour se donner les meilleures apparences de la pureté idéologique, a fortiori en période pré-électorale, lorsque les « majorités » n’en sont plus du tout.

Le tragique, toujours : il arrive aux Parlements de dérailler, de se perdre en luttes picrocholines, de se stériliser en crises plus ou moins hystériques et même, de temps à autre, de s’abimer dans la lâcheté. L’intérêt général commande de surmonter ces errements. L’article 49-3 rend cela possible. Certes, son emploi est difficile, voire dangereux. Il expose les gouvernements à payer le prix lorsqu’ils le manient à mauvais escient. Souvenons-nous du Contrat Première Embauche. Mais c’est cela qui fait la vertu du procédé. Chacun s’y trouve mis face à lui-même : les députés, puisqu’ils ont à choisir entre l’essentiel de l’accessoire, et le gouvernement, parce qu’il peut y perdre tout soutien, y compris populaire, voire se trouver renversé. Un équilibre naît de là, qui n’a rien « d’antidémocratique ». La politique grandit dans la résolution de ce genre de dilemme.

Bref, il faut n’utiliser l’article 49-3 que lorsque d’impérieuses nécessités se font jour. Mais il serait imprudent de s’en priver.

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Denys De Béchillon

Denys de Béchillon

Professeur de Droit à l’Université de Pau et des Pays de l'Adour
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