fbpx
skip to Main Content

Déférer la loi

A un jeune parlementaire de son camp qui lui faisait part de sa décision de voter selon ses convictions et non selon la discipline du parti, Disraëli aurait répondu: « Mon cher collègue, j’espère bien que vous voterez avec vos amis, comme un gentleman, et non selon votre conscience, comme un voyou ». Il y a beaucoup de sagesse politique dans cette paradoxale saillie. L’esprit de parti est, plus souvent qu’on ne le croit, le garant du fonctionnement normal des institutions. Le contrôle de la constitutionnalité des lois en offre un excellent exemple.

Lorsqu’en 1974, le président Giscard d’Estaing a créé la saisine parlementaire, il pouvait être certain que l’esprit de parti le ferait fonctionner. Il était logique de compter que l’opposition (particulièrement vindicative à l’époque) aurait à cœur de déférer à peu près tous les articles de toutes les lois voulues par le gouvernement et votées par une majorité aux ordres.

Les réformes constitutionnelles des quinze dernières années, dont le caractère déraisonnable apparaît aujourd’hui assez clairement, ont, en revanche, créé un environnement nouveau: le quinquennat, en tuant le premier ministre, a libéré le parlement. La réforme de la procédure d’élaboration de la loi a soustrait les chambres à la rigueur et à la cohérence gouvernementales. La loi est donc désormais la chose du parlement, et non le texte d’une majorité. Entre fragmentation, rébellions, accords de circonstance, elle est devenue le produit d’une machinerie opaque dont les rouages fonctionnent dans une demi-obscurité, justifiant la formule célèbre sur la fabrication des saucisses et l’élaboration de la norme.

En conséquence, les parlementaires sont moins portés qu’avant à déférer de manière automatique un texte dont ils se sentent collectivement les auteurs. C’est ainsi par exemple que les parlementaires de l’UMP n’ont déféré ni une disposition de la loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière pourtant contraire à tous les principes, puisque l’administration peut désormais procéder au recouvrement forcé d’une créance en saisissant les contrats d’assurance-vie alors que les sommes qui y figurent sont la propriété de la compagnie d’assurance et non du contribuable débiteur; ni une disposition de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 méconnaissant frontalement l’autorité de la chose jugée, dès lors qu’il a déjà été statué qu’une taxe sur les « boissons dites énergisantes » ne peut être instituée à des fins comportementales à raison de risques supposés qu’elles ne présentent pas.

Ces petits arrangements entre amis invitent à réfléchir, pour l’avenir, à une modification de la procédure de saisine du conseil constitutionnel, si l’on veut maintenir le contrôle de la constitutionnalité des lois hors des atteintes éventuelles de la « République des camarades ».

 

François Sureau, Avocat à la Cour, SCP Spinosi, membre du Club des juristes

François Sureau

François Sureau

Avocat à la cour, membre de l'Académie française
Back To Top
×Close search
Rechercher