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Abus de marché : vers la fin du cumul des poursuites et sanctions

En jugeant, par une décision du 4 mars dernier, que le droit italien était contraire au droit à ne pas être jugé ou puni deux fois pour les mêmes faits consacrés par l’article 4 du protocole n° 7 à la CEDH, la Cour européenne des droits de l’homme a délivré un message qui pourrait faire vaciller notre système de répression des abus de marché.

Si la décision est essentielle, c’est parce que le droit français possède les mêmes caractéristiques que son voisin transalpin : depuis une loi du 2 août 1989, les opérations d’initiés et les manipulations de marché peuvent être en effet poursuivies et sanctionnées tant par le juge pénal que par l’autorité de régulation (AMF). Un tel cumul n’a cessé de soulever la controverse : il est dispendieux, génère des risques de contradictions de décisions et contribue à allonger le supplice procédural. Surtout, on lui reproche d’être contraire au principe « Non bis in idem », qui prohibe le cumul de poursuites et de sanctions pour des infractions identiques. Sans résultat : nos plus hautes juridictions, Conseil constitutionnel, Cour de cassation et Conseil d’Etat, ont inlassablement considéré que le système français ne violait pas le principe du non-cumul. La Chambre criminelle, dans un arrêt du 22 janvier 2014, a jugé que la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui consacre elle aussi le principe, ne s’opposait pas au cumul. Et si la Convention européenne interdit que des faits identiques fassent l’objet de sanctions distinctes, la Cour de cassation s’est toujours abritée derrière les réserves formulées par la France sur ce texte pour limiter la règle aux infractions relevant de la seule compétence des tribunaux répressifs. C’est précisément ce système de réserves que la Cour européenne entend neutraliser. Non seulement le principe du non-cumul doit s’appliquer, mais, surtout, les réserves ne peuvent produire d’effet lorsqu’elles sont trop imprécises. Concrètement, un juge pénal ne saurait poursuivre ou sanctionner un comportement déjà jugé par l’AMF, et inversement. Une telle conclusion, qui met à mal un système bancal, doit désormais nous inciter à mieux répartir les compétences plutôt que faire bégayer la répression.

Nicolas Molfessis

Professeur de Droit à l’Université Paris II Panthéon-Assas
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